L’âge de la multitude
Entreprendre et gouverner après la révolution numérique.
Avec beaucoup de pédagogie, Nicolas Colin et Henri Verdier montrent que la révolution numérique permet de mobiliser l’intelligence de la multitude, dont les contributions volontaires sont une externalité que peuvent capter des plateformes comme Wikipedia, Facebook ou Amazon.
Ceux qui profitent de cette nouvelle économie proposent des applications puissantes au design attractif et surtout sensitives, c’est-à-dire capables d’évoluer rapidement en fonction des usages qu’en font les utilisateurs et en intégrant leurs éventuelles améliorations. Les biens qui ont le plus de valeur, note Antoine Rebiscoul, sont ceux qui arrivent sur le marché inachevés, parce qu’ils laissent suffisamment de place à l’inscription de la sensibilité et de la singularité de l’acheteur.
Les plus habiles sauront, à partir d’une application, créer une plateforme attirant des développements complémentaires grâce à la mise à disposition des développeurs des ressources de la plateforme, qui s’enrichira de toutes leurs contributions. « L’économie numérique ne se développe pas tant grâce au progrès technique que grâce à la puissance de la multitude. Les gagnants de cette économie ne sont pas ceux qui réalisent les plus belles prouesses technologiques, mais ceux qui mettent au point les stratégies les plus performantes de captation de cette puissance ». Apple réalise déjà plus de bénéfices grâce à ses commissions sur la vente des applications disponibles sur sa plateforme (et créées par des « surtraitants » utilisant ce canal de distribution mis à leur disposition) qu’avec la vente d’iPhone. « Une plateforme est conçue pour capter la valeur créée à l’extérieur de l’organisation ».
Beaucoup de grandes entreprises affrontent la menace du numérique en tentant de renouer la relation distendue avec leur client final, mais une meilleure stratégie est de s’appuyer sur leur savoir-faire spécifique pour se transformer en plateforme. Les auteurs citent un peu rapidement, outre Amazon et Facebook, les exemples du Guardian, d’EMI ou de Salesforce, mais on aimerait qu’ils soient plus explicites sur ces stratégies.
Les auteurs concluent sur les enjeux politiques de ces transformations, dans le domaine de l’éducation, où des élèves en demande d’une interaction individualisée doivent apprendre à « raconter une histoire » et à programmer, développer leur créativité et leur agilité ; dans le domaine du droit de la concurrence, pour éviter que de nouveaux intermédiaires n’abusent de leur position dominante : la dynamique de monopole naturel des plateformes peut d’accompagner de sujétions imposées par les régulateurs ; dans le domaine des politique d’innovation, qui ne peuvent se borner à un soutien aux activités de recherche ; dans le domaine de la fiscalité, pour imposer la valeur là où elle est effectivement créée (par la multitude d’utilisateurs contributeurs) et consommée.
Les auteurs notent au passage que la France, qui serait le seul pays au monde à exporter plus d’applications pour iPhone qu’elle n’en importe et qui a vu naître de belles start-up, n’est pas mal placée pour se positionner dans ce nouvel environnement économique.