Conception des espaces industriels et cadre de travail

La Fabrique a redécouvert pour vous un corpus de recherche de la fin des années 70 qui jette un éclairage intéressant sur l’aménagement des espaces industriels et ses liens avec la montée des préoccupations liées aux conditions de travail et au cadre de vie. Des questions toujours d’actualité dès lors que l’on parle d’industrie.

Lors du premier Conseil d’Orientation de La Fabrique de l’industrie, les termes d’un débat intéressant ont été soulevés. Faut-il se préoccuper de l’image de l’industrie dans l’opinion publique – ce qui présuppose que les représentations de l’industrie sont erronées par rapport à la réalité et qu’il importe de restaurer une juste perception de ladite réalité – ou faut-il au contraire se préoccuper du « produit » Industrie – autrement dit se pourrait-il que la « qualité » du produit soit médiocre et que les représentations dominantes découlent de cet état de fait ? Cette deuxième voie ouvre des pistes de réflexion intéressantes.

C’est dans cette perspective que La Fabrique a (re)découvert pour vous un ouvrage de 1979 intitulé Sur l’architecture des espaces industriels, synthèse d’une recherche exploratoire et empirique menée par une équipe pluridisciplinaire (sociologues, économistes, architectes) dirigée par Jean Zeitoun, ancien élève de Polytechnique. Ce petit ouvrage quasiment introuvable s’intéresse à la production et à l’aménagement de l’espace de l’usine et de la zone industrielle par l’analyse des facteurs techniques, sociologiques, économiques et idéologiques qui les déterminent. L’étude elle-même n’est pas dépourvue de la « teinture » idéologique de l’époque qui voit l’espace industriel comme «instrumentation» du contrôle social et technique. Elle est concomitante au déploiement de l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail) et vise à redonner à l’architecte un rôle qui dépasse celui « d’habilleur » de l’espace de travail.


Au commencement était la manufacture

L’usine fut inventée, il y a un peu plus de 200 ans, dans la vallée de la Derwent, entre Derby et Cromford. Il s’agissait d’une filature dont les métiers étaient actionnés par une roue hydraulique, puis par des machines à vapeur. Hommes, femmes et enfants y travaillaient jour et nuit par équipe de 12 heures. D’abord conçues avec des piliers et des poutres en bois, les manufactures adoptèrent ensuite le métal en raison de la haute combustibilité qui découlait des masses de coton entreposées et du travail de nuit à la chandelle. Passons sur l’âge du fer et du charbon. Un siècle et demi plus tard, d’autres pratiques architecturales viennent révéler les mouvements profonds des pratiques socio-économiques.


3 grandes phases

Dans l’après guerre, on observe la survivance du modèle architectural monumental d’avant-guerre et l’importation de prototypes nord-américains. Seul l’usage du béton le distingue de l’époque précédente, la Seconde Guerre mondiale ayant créé une pénurie de métal dans la construction. Ces édifices ne sont pas des enveloppes neutres, mais font l’objet d’une véritable conception architecturale qui associe travail et non travail, c’est-à-dire des bâtiments liés à la production et des équipements sociaux divers (sanitaires, sportifs, culturels). Les espaces de production, d’inspiration nord-américaine, sont essentiellement des grands halls dont l’éclairage et la clarté ont été particulièrement soignés. L’architecture des espaces industriels rend encore compte de l’idéologie « paternaliste » du travail et de la valorisation de celui-ci pour l’épanouissement des individus. Ces bâtiments entreront dans la constitution du patrimoine architectural du XXe siècle (les « cathédrales de l’industrie »).

Dès 1955, s’amorce un changement de conjoncture qui donnera lieu à une croissance sauvage. Tous les éléments de l’espace industriel sont « pliés » à la logique du processus de production, du moindre coût et de la rapidité de mise en oeuvre. C’est la naissance des zones industrielles et de la standardisation à outrance. Les bâtiments sont construits à l’aide d’éléments banalisés : poteaux, dallages, bardages métalliques ; la coquille de l’usine se réduit à une enveloppe aveugle de type « hangar ». C’est le degré zéro de l’architecture et l’émergence d’un prototype : la boîte close ou usine aveugle. Le bâtiment est à l’image de la zone industrielle : il forme une limite étanche et le travailleur qui y entre abandonne son identité.

A partir de 1970, on constate une sorte de reprise qualitative, dominée par le discours sur l’amélioration de la qualité de l’environnement. Les zones industrielles s’ouvrent à d’autres types d’établissement, devenant des « parcs d’activités », mais le modèle français ne suivra pas la voie ouverte par les Américains. L’architecture de l’usine traduit le souci de mettre en valeur l’image de marque de l’entreprise, dès lors qu’il faut, par exemple, attirer des cadres. Davantage de soins sont apportés aux espaces environnant l’usine (espaces verts) et à sa façade. D’une façon générale, on assiste à une diversification des modèles et à une diminution des surfaces dans les pays développés. Quant à « l’hôtel industriel » qui a connu un développement important en Suède et qui vise à réinscrire le travail industriel dans la ville, dans des bâtiments en hauteur à l’architecture soignée, il n’a connu en France que quelques concrétisations.

L’étude, qui s’arrête à la fin des années 70, conclut que la prise en compte de l’apparence des bâtiments ne signifie pas nécessairement amélioration des conditions de travail, le traitement extérieur pouvant ne pas correspondre à l’aménagement intérieur. L’aménagement de l’espace de travail est toujours la traduction d’une pratique d’organisation socio-économique ou d’un discours idéologique sur le travail et le statut social.

La Fabrique recherche des études récentes en urbanisme, architecture, sociologie, permettant de prolonger ces travaux jusqu’à nos jours.

La Fabrique

La Fabrique de l’industrie est une plateforme de réflexion, créé en 2011, consacrée aux perspectives de l’industrie en France et à l’international. Nous travaillons sur les...

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