Comment utiliser le moteur électrique pour décarboner le transport routier en France ?
dobe Stock @Lukas Gojda
RÉSUMÉ
Dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, chaque pays doit réduire drastiquement ses émissions de gaz à effet de serre (GES), et notamment ses émissions de dioxyde de carbone (CO2).
La France s’est ainsi engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050, mais cela suppose une accélération du rythme actuel de décarbonation. Sur le territoire national, le secteur des transports représente un tiers des émissions de GES, dont la grande majorité provient du secteur routier. Samuel Delcourt et Étienne Perrot, diplômés du Corps des mines, ont donc souhaité explorer les gisements de réduction des émissions du transport routier.
En concentrant leurs travaux sur des solutions technologiques existantes ou implémentables à moyen terme et les infrastructures associées, ils formulent une série de propositions pour réduire les émissions de GES du secteur.
Une large partie d’entre elles visent à accélérer la conversion du transport routier au moteur électrique.
LE MOTEUR ÉLECTRIQUE COMME LEVIER MAJEUR DE DÉCARBONATION DU TRANSPORT ROUTIER
Le secteur du transport représentait en 2018 le principal poste d’émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France avec 137 Mt CO2eq (soit 31 % des émissions de GES nationales), dont 95 % générées par le transport routier (Datalab, 2019).
La lutte pour la baisse des émissions du transport routier n’est pas nouvelle mais elle doit s’accélérer si la France veut atteindre l’objectif de neutralité carbone en 2050.
Les normes européennes sur les émissions de CO2 des véhicules et les stratégies nationales pour « verdir » le parc automobile ont encouragé les investissements dans plusieurs technologies : biocarburants, hybridation, batterie électrique, pile à combustible pour véhicule à hydrogène, entre autres. Hormis les biocarburants, ces technologies reposent sur l’utilisation d’un moteur électrique. En raison de sa maturité industrielle, son rendement énergétique et sa faible pollution au roulage, le moteur électrique couplé à une batterie électrique présente un sérieux potentiel pour la décarbonation rapide du transport routier.
S’il existe des gisements de réduction des émissions de CO2 dans les autres technologies, les décideurs ont intérêt à favoriser la conversion du transport routier à une motorisation électrique couplée à une batterie là où elle est pertinente. Et cela en concentrant les efforts sur deux axes majeurs : la promotion de l’électrification des autoroutes pour les poids lourds et le développement des véhicules légers électriques à autonomie moyenne.
ÉLECTRIFIER LES PRINCIPAUX AXES ROUTIERS POUR LES POIDS LOURDS
Pour les poids lourds, qui concentrent plus de 20 % des émissions de GES du transport routier en France, la conversion à l’électrique ne peut pas seulement reposer sur l’utilisation d’une batterie, en particulier pour le transport longue distance de marchandises. Compte tenu du besoin d’autonomie correspondant, il faudrait équiper les poids lourds de volumineuses batteries, qui seraient non seulement trop coûteuses à l’achat mais limiteraient aussi la charge utile du véhicule.
Une solution prometteuse consiste donc à électrifier les grands axes routiers de façon à alimenter le véhicule en électricité pendant qu’il roule, voire à recharger sa batterie. Parmi les technologies existantes, celle de l’alimentation conductive, notamment par des caténaires (comme pour les tramways), est la plus avancée. En test en Allemagne et en Suède (Projet eHighway de Siemens) sur plusieurs poids lourds équipés de pantographes, cette technologie permettrait aux camions équipés d’un moteur électrique de réaliser de longs trajets de manière efficace sur les plans économique, énergétique et environnemental. Pour donner une idée du potentiel associé à ces trajets sur des grands axes, les routes à caractère autoroutier représentent 1,4 % du réseau routier et concentrent 66 % des kilomètres parcourus par les camions (Union Routière de France, 2019).
Déployer l’infrastructure jusqu’à un niveau de couverture la rendant attractive pour des véhicules 100 % électriques ou à hydrogène prendra probablement plus de 10 ans. C’est pourquoi l’utilisation transitoire de véhicules hybrides pourrait permettre d’accompagner le déploiement de l’infrastructure. On estime d’ailleurs qu’avec un véhicule hybride Diesel, un transporteur économiserait 13 euros/100 km en carburant lorsqu’il utilise de l‘électricité sous les caténaires à la place du diesel, compensant ainsi en partie la redevance d’infrastructure et le surcoût d’un tracteur équipé d’un pantographe par rapport à son équivalent thermique.
Le développement rapide de cette solution est donc souhaitable mais il doit nécessairement passer par l’implication de toutes les parties prenantes (transporteurs, électriciens, constructeurs, concessionnaires autoroutiers, industriels…) et être conduit à l’échelle européenne, les flux étant largement internationaux. Pour être pertinente, efficace et rentable, cette solution exige en effet un standard européen d’électrification des autoroutes et des mécanismes d’accompagnement financier par la puissance publique (investissement dans les infrastructures, subventions pour l’acquisition des véhicules compatibles).
DÉVELOPPER UN PARC DE VÉHICULES LÉGERS ÉLECTRIQUES DE MOYENNE AUTONOMIE
Pour les véhicules particuliers et utilitaires légers, qui représentent respectivement environ 55 % et 20 % des émissions du transport routier en France, les constructeurs ont fortement diversifié leur offre de motorisation, notamment sous la pression des normes européennes sur les émissions de CO2 des véhicules. L’élargissement de l’offre et la mise en place depuis 2008 du système de bonus-malus sur l’achat de véhicules neufs ont permis une forte évolution du mix des motorisations dans les ventes. À fin 2020, les motorisations 100 % thermiques ne représentaient plus que 77 % des ventes de véhicules particuliers neufs (contre plus de 96 % en 2012, AAA-Data, 2020). À l’inverse, la part de marché des véhicules 100 % électriques a grimpé à 6,7 % (contre 1,9% en 2019 et 0,3% en 2012).
L’enjeu est maintenant d’encourager les acheteurs à s’équiper d’un véhicule à autonomie moyenne (environ 250 km) alors que l’autonomie est, avec l’infrastructure de recharge, un frein significatif à l’achat de ces motorisations. Ne pas surdimensionner les batteries est important d’un point de vue tant économique qu’écologique : le choix d’une petite batterie permet de limiter le coût d’achat du véhicule et son poids (un pack de 20 kWh supplémentaire pour 100 km d’autonomie coûte 3 000 euros de plus, ADEME et IFP, 2018). En outre, réduire la capacité des batteries diminue les besoins en matières premières pour leur conception et améliore le bilan environnemental du véhicule électrique.
Si les trajets de moins de 200 km représentent plus de 95 % des déplacements, il est néanmoins essentiel de rassurer les potentiels acheteurs sur le fait que leur voiture pourra répondre à l’ensemble de leurs besoins en déplacement. Cela peut notamment passer par l’augmentation du nombre de bornes publiques de recharge (planifiée en fonction de la demande) ou par des facilités de circulation pour les automobiles peu émettrices.
Il existe également des solutions technologiques qui mériteraient d’être encouragées, comme les prolongateurs d’autonomie. L’entreprise EP Tender propose par exemple un prolongateur qui prend la forme d’une petite remorque qui s’accroche à l’arrière du véhicule pour recharger sa batterie pendant qu’il roule. Assurer la compatibilité des nouveaux véhicules électriques avec ce type de prolongateurs est souhaitable pour le développement de l’électromobilité, avec la perspective d’élargir le domaine d’utilisation des véhicules d’autonomie limitée.
Enfin, il convient de remettre en question le modèle centré sur la possession individuelle d’un véhicule multi-usages. Sur ce point, certains constructeurs proposent désormais des offres de mobilité associant la location longue durée d’un véhicule électrique à la possibilité d’utiliser ponctuellement des véhicules dont l’autonomie permet de couvrir de plus longues distances en cas de besoin.
CONCLUSION
Si les voies en faveur de la décarbonation du transport routier sont nombreuses, généraliser le moteur électrique comme moyen de propulsion associé à une batterie d’autonomie limitée pour ces transports semble incontournable.
Pour les poids lourds, l’électrification des autoroutes permet d’accroître l’autonomie sur les trajets longue distance et demande des investissements en infrastructures mais est particulièrement adaptée aux flux importants et ouvre une réelle opportunité industrielle pour la France et l’Union Européenne. Pour les véhicules légers, il s’agit de développer le parc de véhicules électriques à autonomie moyenne, en rassurant les utilisateurs sur la capacité de ces véhicules à répondre à leur besoin et en veillant à la lisibilité du soutien public (bonus, infrastructure de recharge). C’est ainsi l’opportunité de voir émerger de nouvelles solutions complémentaires: offres de mobilité multimodales, nouvelles technologies comme le prolongateur d’autonomie tractable, offres de financement comprenant la location de véhicules thermiques quelques semaines dans l’année. C’est enfin la clé pour repenser progressivement le rapport à la voiture particulière, à elle seule responsable aujourd’hui de presque 60% des émissions de GES du transport routier.
Chiffres-clés
En savoir plus
Samuel Delcourt et Étienne Perrot. Comment décarboner le transport routier en France ? Doc de La Fabrique, 12, Paris : Presses des Mines.
AAA-Data, 2020, www.aaa-data.fr
ADEME et IFP, Bilan transversal de l’impact de l’électrification par segment, avril 2018, https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/sites/ifpen.fr/files/inline-images/NEWSROOM/ Communiqu%C3%A9s%20de%20presse/projet-e4t-bilan-impact-electrification-2018.pdf.
Commissariat général au développement durable, Chiffres clés du transport, Datalab, édition 2019.
Union Routière de France, Faits et chiffres, 2019 – https://www.unionroutiere.fr/faitetchiffre/ faits-et-chiffres-2019/.
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