Véhicules autonomes: ne ratons pas la révolution !
Avant-propos
La collection des « Docs » de La Fabrique rassemble des textes qui n’ont pas été élaborés à la demande ni sous le contrôle de son conseil d’orientation, mais qui apportent des éléments de réflexion stimulants pour le débat sur les enjeux de l’industrie.
Ce rapport, clair et pédagogique, analyse le développement à l’échelle industrielle du véhicule autonome, et son impact possible sur l’activité des entreprises. Il discute des bouleversements sociaux et économiques attendus, notamment le renouvellement du concept de mobilité et ses conséquences sur la vie quotidienne. La filière des transports terrestres anticipe ainsi des transformations profondes, depuis l’apparition de nouveaux concurrents tels que les sociétés du numérique jusqu’à la transformation de modèles économiques en place depuis des décennies.
Cette étude aborde également la place des entreprises françaises dans cette filière émergente. Les constructeurs français semblent accuser un certain retard, alors que les équipementiers affichent une ambition forte. Tous ont bien conscience de l’enjeu de devenir fournisseur de solutions de mobilité, et du risque symétrique d’être relégué au rang de fournisseur de supports hardware pour les systèmes d’exploitation des véhicules intelligents de demain. Les auteurs relèvent aussi des lacunes au niveau de l’État, tant en matière de règlementation que de politiques publiques. À ces problèmes, ils avancent quelques solutions pour tenter de combler le retard français.
Ce travail est issu du mémoire de deux ingénieurs du corps des mines, en dernière année de formation. Ils ont complété leur analyse par des réflexions sur une possible politique industrielle, auxquelles La Fabrique n’apporte ni caution ni critique faute de les avoir mises en discussion avec les parties prenantes.
Les ingénieurs-élèves ont rencontré des interlocuteurs, dont ils ont repris à leur compte les propos qui les ont convaincus, non sans avoir recoupé leurs informations. N’étant pas encore tenus au devoir de réserve qui s’imposera bientôt à eux, ils n’ont pas hésité à exprimer leurs points de vue sans détours.
Nous espérons que ce document stimulera la réflexion des industriels et des pouvoirs publics et serons heureux de recueillir leurs réactions.
L’équipe de La Fabrique.
Synthèse
La révolution du véhicule autonome arrive sur nos routes et dans nos villes. Le sujet a pris une ampleur considérable au cours des dernières années, comme peuvent en témoigner les acquisitions spectaculaires (quinze milliards pour Mobileye !) et les batailles juridiques dévastatrices (Google contre Uber, ce qui n’a sûrement pas aidé Travis Kalanick à rester en poste). Pour quels résultats ?
On attend beaucoup du véhicule autonome. Qu’il nous permette de nous déplacer partout, tout le temps, sans effort ni surcoût, qu’il soit disponible au simple claquement de nos doigts, qu’il nous transporte de manière sûre, rapide, et non polluante, d’un bout à l’autre de la ville ou du pays. Si cette révolution est une révolution des usages, c’est aussi et avant tout une révolution d’une industrie. L’industrie automobile, qui va être affectée de bout en bout par ce nouveau paradigme. Constructeurs, équipementiers, loueurs, géants du numérique : tous vont se battre férocement dans l’arène de l’autonomie. Laissant les vaincus exsangues et agonisants, portant les vainqueurs au pinacle de la rentabilité et de la part de marché.
La France a une carte à jouer, malgré un retard à l’allumage indéniable. Ses constructeurs Renault et PSA essaient de reprendre la voiture en marche, après une sortie de crise difficile, et comptent pour cela s’appuyer sur une présence internationale. La tâche reste colossale, puisqu’il faut faire face à des constructeurs premiums aux poches plus larges, et à des géants du numérique aux poches sans fond. Son équipementier majeur, Valeo, peut se targuer d’être au niveau de ses concurrents, mais, à l’ère du numérique, les retournements se produisent à vitesse éclair : il faut donc continuer à investir.
Le motif d’optimisme réside dans les compétences françaises. Si l’écosystème des startups n’en est qu’à ses balbutiements, comparé à la Silicon Valley, la France regorge de talents et de formations d’ingénieurs de qualité. Précisément les savoir-faire nécessaires pour développer les meilleurs systèmes d’autonomie du monde. Encore faut-il savoir les retenir, et en faire les acteurs majeurs du renouveau de l’industrie automobile française.
La France doit s’emparer à bras-le-corps du sujet : lui donner une impulsion politique forte venant du sommet de l’État, se munir d’un cadre d’expérimentation volontariste et ambitieux, s’appuyer sur son industrie pour pousser une réglementation beaucoup plus permissive au niveau européen, et entamer sans plus attendre la communication auprès des collectivités, du public et des professions concernées.
Ne ratons pas la révolution !
Remerciements
Nous tenons à remercier vivement tous ceux qui, par leur aide, leurs conseils et leur relecture attentive, ont contribué à l’élaboration de cet ouvrage. Nous pensons tout particulièrement à :
- M. Olivier Baujard, consultant et président de start-up ;
- M. Geoffrey Bouquot, directeur stratégie chez Valeo ;
- M. Daniel Kopaczewski, sous-directeur de la sécurité et des émissions des véhicules à la DGEC.
Nous remercions également, pour les échanges fructueux que nous avons pu avoir avec certains de leurs dirigeants, les administrations et entreprises suivantes :
- Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME) ;
- AXA ;
- Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD) ;
- Conseil Général de l’Économie, de l’Industrie, de l’Énergie et des Technologies (CGEIET) ;
- Commissariat Général à l’Investissement (CGI) ;
- Continental Automotive France ;
- Direction Générale des Entreprises (DGE) ;
- Direction Générale de l’Énergie et du Climat (DGEC) ;
- Groupama ;
- Institut National de la Recherche en Informatique et en Automatique (INRIA) ;
- Inspection Générale des Finances ;
- Keolis ;
- Meta Consulting ;
- Nouvelle France Industrielle (NFI) ;
- Plateforme de la Filière Automobile (PFA) ;
- PSA ;
- Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP) ;
- Renault ;
- Tesla ;
- Valeo.
Introduction
« Impossible. »
Il y a encore dix ans, c’est probablement la réaction qu’auraient eue la plupart de nos interlocuteurs à la simple évocation de ce concept : le véhicule autonome. Certains même parmi les acteurs majeurs de l’industrie des transports n’y croyaient pas à l’aube des années 2010. C’était sans compter sur les avancées spectaculaires des algorithmes intelligents, portés par le deep learning (apprentissage automatique profond).
Plus personne aujourd’hui ne se pose la question de la réalité du véhicule autonome : il a d’ores et déjà commencé à s’inviter sur nos routes, même s’il n’en est qu’à ses balbutiements. Non, les questions qui se posent à présent sont de savoir qui, où, et quand. Et les différents acteurs du véhicule autonome de faire maintenant la course pour être les premiers à répondre : « Nous, partout, demain. »
Imaginez plutôt : vous rentrez en voiture du travail un vendredi soir, accablé(e) de fatigue. Une fois dans votre quartier, vous vous rendez rapidement compte que vous allez, une fois de plus, mettre vingt minutes à trouver une place. Il n’en sera rien. Vous sortez du véhicule devant chez vous, ouvrez la porte de l’immeuble d’une main, et, de l’autre, envoyez votre véhicule autonome se garer tout seul, d’un simple clic sur votre téléphone.
Le lendemain matin, six heures de route vous attendent. Les vacances, enfin ? Pas vraiment : votre conjoint(e) n’a pas dormi de la nuit. Les enfants, eux, ont visiblement prévu de vous rendre le trajet difficile. Mais vous restez serein. Après dix minutes pour sortir de la ville, vous arrivez sur l’autoroute. Vous appuyez sur ce bouton « conduite autonome » qui ne vous semble plus si magique, et vous délaissez le poste de conduite pour aller vous occuper des enfants. Ni les bouchons, ni les intempéries n’ont de prise sur le véhicule. Vous reprendrez simplement la main pour les tout derniers kilomètres.
Ces deux situations sont des cas d’usage que le véhicule autonome devrait être en mesure de gérer rapidement. Et les possibilités sont plus vastes encore. Tellement vastes que l’entrepreneur le plus en vue du moment n’envisage plus, à terme, de laisser les humains conduire. « Conduire finira par être interdit par la loi. C’est trop dangereux. Vous ne pouvez pas laisser des êtres humains conduire des engins mortels de deux tonnes. »1
Le véhicule autonome ouvre un nouveau champ de possibilités pour la mobilité. Mais qu’est-ce que l’on entend exactement par « véhicule autonome » ? Nous rentrerons ultérieurement dans le détail de la définition technique, et nous adoptons pour le moment une définition simple et accessible.
Un véhicule autonome est un véhicule dans lequel la tâche de conduite peut être déléguée entièrement, et au moins temporairement, du conducteur au véhicule.
À titre de contre-exemple, un véhicule muni d’un régulateur de vitesse et d’une alerte en cas de franchissement de ligne n’est, à notre sens, pas un véhicule autonome : le conducteur doit toujours effectuer la tâche de conduire, même s’il est quelque peu aidé par le véhicule.
À titre d’exemple, un véhicule prenant le contrôle directionnel et le contrôle de la vitesse du véhicule sur autoroute uniquement, est à notre sens un véhicule autonome, même si le conducteur doit être en mesure de reprendre le contrôle du véhicule à tout instant, et même si cela n’est possible que sur voie à chaussées séparées.
Le véhicule autonome va apporter des chamboulements majeurs que nous nous attachons à étudier dans cette étude. Nous prenons un point de vue très français sur le sujet, et nous nous attardons sur les avantages et les retards du pays pour le développement et les usages du véhicule autonome. Nous essayons de proposer des recommandations à destination des puissances publiques, quand bien même les entreprises ont le rôle principal à jouer dans cette grande transformation.
- 1 – Elon Musk, conférence annuelle des développeurs Tesla, 2015
Une transformation structurante
Le véhicule autonome est une innovation majeure qui va engendrer de grands changements dans l’industrie et la société. Il s’inscrit dans la progression globale des robots dans nos vies, et va même en être un des piliers. Ce qui est le plus frappant, lorsque l’on s’intéresse à l’impact que va avoir le véhicule autonome, c’est que personne ne semble y échapper.
Cent ans après l’apparition de la première ligne commerciale aéronautique, certaines personnes passent encore leur existence sans monter dans un avion. Cela est faux pour une voiture, et nous pensons que, de la même façon, l’ensemble de la population sera affecté par l’émergence des véhicules autonomes, tant ses applications sont larges.
Nous allons voir ici l’impact du véhicule autonome sur la mobilité et la société, puis nous intéresser plus particulièrement à l’industrie des transports dans son ensemble, et enfin présenter notre vision du marché sur le véhicule autonome.
Une révolution de la mobilité
Nous distinguons dans cette partie quatre grands pans de la société touchés par le véhicule autonome : le transport dans sa globalité, les usagers, l’industrie, et les puissances publiques.
Vivre autrement la mobilité
Le véhicule autonome va affecter l’ensemble des concepts de mobilité. La notion de transport elle-même va être modifiée. Auparavant toujours associée à un opérateur humain, elle va se retrouver aux mains des machines seules, comme si demain le chirurgien était remplacé par un robot-chirurgien autonome. Ce contrôle total de la machine est déjà à l’œuvre sur quelques exemples, comme les lignes 1 et 14 du métro parisien. La SNCF elle aussi envisage de faire circuler ses trains sans conducteur2.
Les véhicules eux-mêmes vont être amenés à changer. D’une part la taille des véhicules va changer pour s’adapter aux nouveaux usages qui en seront faits, avec par exemple des véhicules plus petits mais plus efficaces pour optimiser certains déplacements dans des zones peu denses. D’autre part l’intérieur des véhicules va se transformer, si le conducteur est amené à se déplacer dans l’habitacle lorsqu’il ne conduit pas, ou s’il n’y a tout simplement plus besoin de poste de pilotage.
Les usagers vont changer d’habitudes de déplacement. Prendre la voiture n’aura plus la même signification s’il n’est pas nécessaire de conduire. La consommation de mobilité sera simplifiée, et par conséquent cela va encourager les voyageurs à davantage se déplacer, à la fois sur des distances moyennes en zone urbaine, mais aussi sur des distances plus longues.
Des gains très importants pour les usagers sont espérés avec le développement de véhicules autonomes :
- le confort à bord des véhicules. Les conducteurs seront partiellement ou totalement libérés de la tâche de conduite, qui est une tâche fatigante, en particulier sur les longs trajets, sur les trajets récurrents, et dans les embouteillages. En plus de cette fatigue évitée, les conducteurs pourront occuper leur temps autrement, par exemple à lire, regarder un film, ou à des activités de groupe avec les autres passagers du véhicule. Les véhicules autonomes auront probablement une conduite moins brutale que les conducteurs, avec des freinages, des prises de courbe, des accélérations standardisées et optimisées, évitant les heurts pour les passagers ;
- les gains de productivité. En particulier pour les salariés se déplaçant en voiture dans le cadre de leur travail, mais également sur les trajets pour aller et revenir du travail, le temps de conduite pourra être remplacé par du temps de télétravail. Cela vaut bien sûr davantage pour des métiers effectués sur support numérique.
- la sécurité. C’est un avantage majeur pour les passagers des véhicules et pour les passants : l’accidentologie devrait baisser de manière substantielle avec la progression des véhicules autonomes. Une étude menée aux États-Unis a effectivement montré qu’environ 95 % des accidents étaient principalement dus à une erreur humaine3. Il est donc raisonnable d’espérer une chute d’accidentologie dans de telles proportions.
- la pollution. Les véhicules autonomes auront une conduite plus économique que les humains. Mais le réel enjeu se situe au niveau de la concomitance entre développement du véhicule autonome et du véhicule électrique. Plusieurs acteurs affirment qu’il est plus facile de rendre autonome un véhicule électrique qu’un véhicule thermique, car toutes les commandes du véhicule (y compris le moteur) y sont électriques. Cet élément pourrait d’ailleurs être un argument pour montrer aux régulateurs l’intérêt d’aider au développement du véhicule autonome et électrique.
- la congestion.
Ce dernier point reste un point de débat, car plusieurs phénomènes discordants sont impliqués. D’une part, la conduite autonome sera plus régulière que la conduite humaine, permettant une meilleure fluidité. Les véhicules autonomes seront davantage connectés, et pourront prendre des décisions en temps réel sur les routes optimales à emprunter. Les limitations de vitesse seront en permanence respectées. Les usagers feront peut-être plus de trajets en covoiturage sur des véhicules autonomes partagés.
D’autre part, les usagers utiliseront davantage ce transport car il sera facilité. La cohabitation nécessaire, au moins dans un premier temps, entre véhicules autonomes et véhicules conduits par des humains, amènera des situations non optimales, notamment car les humains ne respectent pas les distances légales de sécurité.
Les études semblent plutôt pencher pour une réduction de la congestion des routes, même si cela n’assure en rien de ce qui se passera à l’avenir. Elles démontrent par contre sans pouvoir en douter que le véhicule autonome va améliorer la mobilité des personnes. Une étude a par exemple montré, sur la ville de Lisbonne, que des flottes de véhicules autonomes partagés pourraient permettre de réduire de 60 % le nombre de véhicules en circulation, tout en augmentant de 30 % le nombre de kilomètres parcourus, pour permettre aux Lisboètes d’effectuer leurs déplacements nécessaires au quotidien4.
Des métiers transformés
L’industrie dans son ensemble va être affectée par le développement du véhicule autonome. La filière du transport va bien sûr être grandement touchée, et nous y consacrons la section suivante. Mais c’est également l’industrie en général qui va voir certains de ses métiers transformés.
Un certain nombre de tâches effectuées par des entreprises nécessitent des trajets de véhicules. Nous pouvons par exemple évoquer le cas des camions poubelles, qui requièrent un conducteur du véhicule, aidé par un ou deux manutentionnaires à l’arrière, qui récupèrent les bennes à ordures devant les immeubles pour les amener jusqu’à l’arrière du camion. Un camion autonome pourrait utiliser un système de reconnaissance et de guidage pour suivre l’ouvrier lorsqu’il se déplace de porte en porte, et ainsi se passer d’un conducteur à l’avant du véhicule. Un tel scénario peut également être envisagé pour les facteurs, qui effectuent une tâche similaire.
Un autre très bon exemple est celui des sites industriels de grande taille, qui nécessitent des déplacements en véhicules, comme des raffineries ou des aciéries, qui comportent généralement un grand nombre de bâtiments répartis sur plusieurs hectares. Là encore le travail des industriels pourrait être amélioré par l’emploi de véhicules autonomes.
Enfin, les puissances publiques ont un rôle prépondérant à jouer dans le développement du véhicule autonome. Nous l’avons vu, celui-ci va impacter les citoyens, et les entreprises. C’est donc tout naturellement qu’il va devenir un sujet majeur pour la puissance publique, dont le rôle est notamment d’améliorer la situation de ses citoyens et de ses entreprises.
Nous l’avons évoqué, la mobilité va être grandement modifiée, avec des changements à attendre dans la façon dont les personnes se déplacent. S’il y a un impact dans la ruralité, nous pensons que les transformations les plus profondes auront lieu en milieu urbain, et nous allons dans cette sous-partie tâcher d’étudier l’impact d’un véhicule complètement autonome.
Un tel véhicule serait en mesure de se rendre sans conducteur au point de prise en charge d’un passager, puis de faire le trajet sans aide jusqu’au point de décharge. Nous appellerons dorénavant ce véhicule « robot-taxi ». Un robot-taxi pourrait être occupé par plusieurs personnes ou groupes de personnes, avec des points de prise en charge et des lieux d’arrivée différents.
Les robots-taxis vont constituer un nouveau mode de transport alternatif aux modes de transport déjà existants, remplaçant au passage les taxis pour des raisons purement économiques : deux tiers du prix de revient actuel d’une course en taxi est dû au paiement du conducteur5. En plus des robots-taxis vont apparaître des navettes autonomes, dont le principe est similaire, mais dont le trajet sera fixé à l’avance, et dont la taille pourra être plus grande.
Ces modes de transport vont dans certains cas compléter les modes de transport déjà existants, par exemple pour effectuer les derniers kilomètres de transport dans des zones mal desservies par les transports en commun. Dans d’autres cas, elles vont les remplacer, comme dans des zones où le transport en commun n’a pas la capacité adaptée pour gérer les flux de voyageurs.
Il appartiendra aux puissances publiques, et plus particulièrement aux collectivités locales, de gérer ces différents scénarios et de s’adapter à cette nouvelle mobilité en essayant d’exploiter au maximum toutes ces possibilités. Ainsi une mairie pourra décider de se doter d’une flotte de véhicules autonomes pour adresser un flux de voyageurs en particulier, et améliorer l’attractivité de son territoire.
La ville de La Rochelle a par exemple commencé à expérimenter des flottes de navettes automatisées et 100 % électriques6. Son objectif annoncé est de réaliser des économies sur les rémunérations des chauffeurs (ils annoncent un gain espéré de 23 millions d’euros par an), et de proposer de meilleures solutions de mobilité à ses habitants.
L’avènement de véhicules complètement autonomes pourrait aussi amener les consommateurs à délaisser la propriété de véhicules particuliers. Si l’équation économique rend la possession d’un véhicule particulier obsolète, les usagers se détourneront vers l’usage exclusif de véhicules autonomes partagés. Avec la réduction attendue du nombre de véhicules, cela devrait libérer un grand nombre de places de parking dans les zones urbaines : les véhicules, plutôt que de rester inutilisés dans des parkings, seraient en permanence en circulation pour chercher des clients, ou pourraient quitter les zones denses pendant la nuit, si le niveau de la demande baisse.
Les collectivités locales pourraient donc récupérer dans les décennies qui viennent des surfaces auparavant occupées par les parkings, et pourront les utiliser pour d’autres utilisations qu’il leur appartiendra de définir. Cela inclut les places de parking dans les rues comme les grands parkings souterrains ou aériens.
Notons que le véhicule autonome sera un véhicule connecté. Il échangera des informations au moins avec le Web, et potentiellement avec l’infrastructure urbaine, les autres véhicules, ou même des passagers. Cela nécessite donc d’avoir une infrastructure adaptée qui permette, si cela est nécessaire, de communiquer avec les véhicules autonomes. On peut par exemple envisager des feux de circulation connectés qui puissent envoyer leur information au véhicule autonome pour l’aider dans sa prise de décision, ou encore un capteur, à un carrefour à vision réduite, indiquant aux véhicules approchants les autres véhicules prêts à s’engager sur le carrefour.
L’État et les collectivités ont donc un rôle important à jouer, et doivent, pour remplir leur mission, s’appuyer sur l’industrie.
La filière du transport entièrement affectée
Les constructeurs
Le secteur des transports dans son ensemble va être radicalement impacté par le développement des véhicules autonomes. Les constructeurs automobiles (en France Renault et PSA) font face à un nouveau défi : développer leur propre solution de véhicule autonome. Comme le véhicule autonome est très souvent électrique et connecté, les constructeurs sont amenés à développer ces trois technologies de manière concomitante. Ils affrontent pour cela une concurrence féroce et aux multiples visages.
La première concurrence est celle des grands constructeurs traditionnels, établis depuis plusieurs décennies. On y trouve les constructeurs allemands, positionnés sur une gamme premium : les groupes Daimler (Mercedes), BMW, et Volkswagen ; les constructeurs japonais, positionnés sur du milieu de gamme : principalement Toyota et Nissan (dorénavant Renault-Nissan) ; les constructeurs américains, positionnés sur du milieu ou haut de gamme : Ford, et General Motors ; des constructeurs d’autres nationalités : Hyundai (Corée du Sud), Tata Motors (Inde). Tous ces constructeurs travaillent sur le véhicule autonome, et ont fait de multiples annonces sur le sujet au cours des dernières années.
La deuxième concurrence est celle d’un nouvel entrant dans le monde des constructeurs : Tesla. Créée aux États-Unis en 2003 par Elon Musk, cette entreprise a « attaqué » le marché en proposant des véhicules entièrement électriques très haut de gamme, avant d’annoncer son intention de développer un véhicule d’entrée de gamme. Devenue pionnière sur la voiture autonome et connectée, Tesla se caractérise par une faible production (comparée aux grands constructeurs) et un positionnement premium. Cela lui permet de développer rapidement de nouvelles technologies telles que la mise à jour over the air des logiciels de tous ses véhicules en circulation à distance. C’est un avantage incomparable pour recueillir de grandes quantités de données sur diverses fonctionnalités.
La troisième concurrence est celle d’entreprises qui ne sont pas des constructeurs mais qui se sont positionnées sur le créneau du véhicule autonome, appâtées par les perspectives de gains. Ce sont deux géants du numérique américains, Google et Apple, et un chinois, Baidu. Google développe sa Google Car, qui est, elle, considérée comme pionnière sur l’autonomie en milieu urbain. Google ne compte pas construire ses propres véhicules, mais adapte des véhicules d’autres constructeurs pour y développer ses logiciels d’autonomie.
Apple avait annoncé vouloir développer son propre véhicule, puis s’est rétracté. Enfin Baidu annonce travailler sur le logiciel du véhicule autonome, mais ne semble pas vouloir développer son propre véhicule. L’avantage de ces sociétés est d’avoir de vastes possibilités financières, et d’être habituées à recruter les talents nécessaires au développement de logiciels tels que celui du véhicule autonome.
La quatrième concurrence est celle d’autres entreprises du secteur automobile, considérées comme des sous-traitants des constructeurs, mais qui vont chercher à capter un maximum de valeur au sein du véhicule autonome, et ainsi réduire les marges des constructeurs. Ils font l’objet de notre section suivante.
Les constructeurs subissent donc une pression importante pour développer rapidement leur solution de véhicule autonome. Cela implique notamment de recruter des profils auparavant peu présents dans le secteur : des développeurs de logiciels de reconnaissance visuelle et d’apprentissage automatique. Les constructeurs traditionnels n’ont pas pour habitude de recruter ce type de talents, et ont des difficultés à le faire.
Ces sociétés ne sont pas forcément considérées comme très dynamiques par des développeurs souvent jeunes. Les niveaux de salaire proposés ne peuvent pas concurrencer ceux accessibles ailleurs, notamment dans la Silicon Valley. Enfin les investissements requis, en matière de personnels notamment, peuvent représenter des sommes trop importantes pour les constructeurs les plus proches de l’entrée de gamme, qui ont des niveaux de marge plus faibles que les constructeurs premium.
Les équipementiers
Les équipementiers automobiles vont jouer un rôle clé dans le développement du véhicule autonome. Ils sont représentés par Valeo en France, Bosch et Continental en Allemagne, Delphi aux États-Unis (liste non exhaustive).
Ces entreprises sont en train de prendre une part de plus en plus importante dans la chaîne de valeur de la filière automobile. Les constructeurs ont déjà délaissé la majeure partie de la valeur ajoutée d’un véhicule à leurs sous-traitants (environ 80 %, selon Valeo). Ces équipementiers ont pour ambition de continuer dans cette voie, en développant des technologies de plus en plus poussées.
Les capteurs qu’ils conçoivent intègrent de plus en plus d’intelligence embarquée, se distinguant de capteurs simples ne renvoyant qu’une information brute à un calculateur central à bord du véhicule. Les nouvelles générations de capteurs sont couplées à des petits calculateurs propres qui effectuent une partie du traitement informatique au niveau du capteur. L’information renvoyée à l’ordinateur central est donc une information prétraitée, ce qui simplifie sa tâche.
À titre d’exemple, les équipementiers développent des caméras, utilisées pour analyser l’environnement du véhicule, et ainsi déterminer les consignes de conduite à fournir aux parties mécaniques. Au lieu d’envoyer l’information brute de la caméra à l’ordinateur central, c’est-à-dire l’image pixel par pixel telle quelle, la caméra effectue déjà la reconnaissance de formes sur l’image qu’elle capte. Elle peut ainsi repérer à l’image un passant qui traverse la rue, un autre véhicule qui circule, ou encore les signalisations au sol. Elle envoie alors à l’ordinateur central l’information du passant qui traverse, ou de la ligne blanche continue à la gauche du véhicule. Et non pas l’image brute. Cela permet au calculateur central de déléguer un grand nombre de tâches de calcul aux capteurs du véhicule.
La majeure partie de la valeur ajoutée dans le véhicule autonome se situe au niveau des algorithmes de traitement d’image et de prise de décision. Par conséquent les équipementiers ont un intérêt financier à se positionner sur ces technologies. La question est de savoir jusqu’où ils remontent dans la chaîne, s’ils s’en tiennent à des capteurs plus intelligents, s’ils développent des algorithmes de fusion de capteurs ou plus encore. C’est donc également un enjeu important pour les constructeurs, qui pourrait représenter pour eux une perte supplémentaire de marge.
Les assureurs
Trois phénomènes distincts vont affecter les assureurs de véhicules et leur business model.
Le développement du véhicule autonome va entraîner une baisse des taux d’accidentologie, comme nous l’avons évoqué dans une partie précédente. Cela ne va cependant pas impacter les méthodes de calcul des assureurs. Les assureurs ne vont pas analyser les logiciels d’autonomie pour en déduire les primes d’assurance à mettre en place. Ils se reposent déjà sur l’analyse de l’accidentologie sur l’année écoulée pour calculer les primes sur l’année suivante, et vont continuer à fonctionner ainsi. Leur vrai enjeu est la baisse de ces primes, qui sera mécanique avec la baisse du nombre d’accidents. Le véhicule autonome est donc une perspective de baisse de chiffre d’affaires, à terme, pour les assureurs.
Sur ce sujet, il est intéressant d’évoquer rapidement la problématique de la responsabilité. Le modèle qui semble tenir la corde est celui d’une responsabilité civile prise en charge par l’assureur du véhicule. Lors d’un accident impliquant un véhicule autonome, l’assureur dédommage la ou les victime(s), puis se retourne contre l’entreprise ou la personne responsable de la défaillance pour récupérer le montant des dommages causés. Cela impliquera d’installer à bord des véhicules des boîtes noires, comme dans les avions.
Quant à la responsabilité pénale, on se dirige vraisemblablement vers une responsabilité sans faute. En cas d’accident mortel impliquant un véhicule autonome, personne ne serait poursuivi pénalement pour les faits, quand bien même on pourrait retrouver la personne en charge du développement du système défectueux qui a causé l’accident. Ce modèle n’est qu’une projection qui doit encore se cristalliser, mais il semble plébiscité par les différents acteurs du véhicule autonome que nous avons pu rencontrer.
Le deuxième phénomène est que les types de contrats vont changer. Les assureurs vendent aujourd’hui des contrats d’assurance à des particuliers qui possèdent leur propre véhicule. Avec l’apparition éventuelle de flottes de véhicules autonomes possédées par des entreprises, les contrats deviendront de gros contrats d’assurance groupés sur une flotte, avec un seul gros client au lieu d’un grand nombre de clients individuels. C’est un exemple typique de transformation d’un modèle du B2C vers le B2B.
Enfin, les assureurs vont voir apparaître un nouveau type de risques : les risques cyber. Les véhicules autonomes seront des véhicules connectés, par conséquent vulnérables à des attaques informatiques. Des expériences et de réelles attaques ont déjà eu lieu sur des véhicules7. L’assurance contre ces risques cyber peut représenter une opportunité pour les assureurs de récupérer le manque à gagner lié à la baisse de l’accidentologie. L’assurance des risques cyber est un sujet traité par trois de nos camarades cette année8.
Les sociétés de transport
Différentes sociétés de transport vont être affectées, voire révolutionnées par le véhicule autonome.
Dans le domaine du transport de marchandises par camion, c’est une véritable révolution qui va accaparer le secteur. Les camions conduits par des humains vont devenir des camions autonomes, et le métier de chauffeur de poids lourd pourrait purement et simplement disparaître. L’avènement des camions autonomes pourrait être d’autant plus rapide qu’ils roulent majoritairement sur autoroute, là où les conditions sont les plus favorables pour le véhicule autonome.
Une start-up du domaine a récemment défrayé la chronique : Otto, créée en Californie et rachetée par Uber en août 2016, a fait l’objet d’une plainte de Google pour vol de brevets en février 2017. L’enjeu est crucial et d’autres startups (Embark, Starsky Robotics, Drive.ai) se sont lancées dans la course au camion autonome.
Le secteur des VTC (Véhicule de Transport avec Chauffeur) et des taxis va lui aussi être révolutionné. À nouveau ce sont de très nombreux emplois qui sont avant tout menacés : en France on compte 60 000 chauffeurs de taxi et 25 000 chauffeurs VTC. L’équation sera avant tout économique pour l’usager souhaitant être transporté. Le prix de revient d’une course est constitué aux deux tiers de la part qui revient au conducteur. Les usagers n’hésiteront donc pas à passer au taxi autonome lorsqu’il proposera une offre plusieurs fois inférieure au taxi traditionnel.
Les sociétés ainsi impactées peuvent être des sociétés de particuliers : les chauffeurs Uber sont par exemple très nombreux à avoir créé une structure ne comportant qu’un employé pour pouvoir travailler pour Uber. Il existe également des sociétés employant plusieurs chauffeurs Uber. Enfin on pense bien sûr à des sociétés regroupant un grand nombre de chauffeurs de taxi, comme G7 en France. G7 pourrait voir son métier purement disparaître.
Le secteur des transports en commun, souvent associé aux pouvoirs publics, qui en France détiennent les sociétés opérant les infrastructures principales du pays, voit un nouveau mode de transport apparaître. C’est un mode alternatif et potentiellement complémentaire des transports existants. Cela pose des questions pour les régies de transport françaises telles que la RATP à Paris, le TCL à Lyon, la RTM à Marseille.
Les véhicules autonomes constituent une concurrence pour ces régies, à l’instar de sociétés comme Uber qui, avec des véhicules autonomes, pourront proposer des courses s’approchant du prix du ticket de métro pour des trajets courts. Les constructeurs automobiles entendent également se positionner sur ce créneau : Tesla a déjà annoncé vouloir proposer une « solution de mobilité » et non plus simplement des véhicules, et PSA compte également lancer à terme son propre de système de transport autonome. Sur de plus longues distances, la SNCF a déjà vu apparaître la concurrence de BlaBlaCar ou de modèles de transport par bus, qui pourraient se développer davantage avec des véhicules autonomes.
Ce véhicule autonome est également une opportunité pour ces régies de transport, d’améliorer leur système, et de dégager des économies tout en apportant plus de mobilité à leurs usagers. On peut par exemple se poser la question du bien-fondé de longs bus actuellement utilisés en zone urbaine, particulièrement en zones peu denses ou durant la nuit, où ils pourraient être remplacés par de petites navettes autonomes, plus flexibles dans leur trajet, et beaucoup plus économiques car plus petites et ne nécessitant pas la présence d’un conducteur.
Les régies de transport pourraient aller encore plus loin, et développer leurs propres solutions de mobilité, avec des flottes de véhicules autonomes qu’elles posséderaient, et des applications similaires à Uber. Cela constituerait un changement majeur de leur modèle, et cela nécessiterait une profonde montée en compétences en numérique, marketing, et système applicatif. Mais c’est un scénario envisageable, car ces régies sont déjà en lien direct avec les passagers, et auraient un intérêt financier évident à acquérir des parts de marché substantielles dans le transport en taxi autonome.
Un dernier type d’acteurs pourrait avoir un rôle à jouer dans l’avènement de flottes de véhicules autonomes : les sociétés de location de véhicules, telles que Europcar en France, Hertz et Avis aux États-Unis. Elles possèdent effectivement le savoir-faire en gestion logistique et financière de flottes de véhicules. Soit elles développeront leur propre de solution de mobilité, ce qui nécessitera là aussi un effort important pour acquérir les compétences. Soit elles deviendront un maillon de la chaîne en agissant comme intermédiaire logistique entre les constructeurs de véhicule et les fournisseurs de mobilité tels qu’Uber. Soit elles disparaîtront, le métier qu’elles effectuent étant repris par l’un de ces deux acteurs.
Il est intéressant de noter que, en juin 2017, un partenariat a été annoncé entre Waymo, filiale d’Alphabet (Google) qui développe le véhicule autonome, et Avis. Avis devrait ainsi fournir des parkings aux voitures autonomes de Waymo, et s’occuper de la maintenance des véhicules.
De nouveaux marchés en développement
Nous assistons aujourd’hui à un foisonnement d’annonces sur le véhicule autonome dans la presse mais il est capital de savoir de quels marchés et de quels usages il s’agit. Le véhicule autonome va se développer sur quatre marchés différents avec des pénétrations plus ou moins rapides selon les cas.
Les navettes autonomes
Il existe déjà aujourd’hui des navettes autonomes fonctionnant sur site propre (ex. centrale nucléaire de Civaux depuis avril 2016) et de nombreuses expérimentations en site public. Entre fin 2014 et avril 2017, les expérimentations de navettes autonomes ont représenté près de 60 % des autorisations d’expérimentations. Une navette autonome présente moins de barrières technologiques puisque le chemin et l’environnement sont connus. De plus, en cas de problème, un opérateur peut reprendre la main à distance (sur le même modèle que les métros automatiques). Par ailleurs, il n’y a pas de frein réglementaire puisqu’aucune règle commune à l’Europe n’existe aujourd’hui concernant les navettes autonomes. Les États ont donc le champ libre pour écrire leur propre réglementation. Enfin, deux start-up françaises (Navya et EasyMile) sont bien positionnées sur ce segment et multiplient les expérimentations.
La pénétration des navettes autonomes pourrait donc être très rapide, surtout sur site propre (au nombre de 50 000 en France). Comme nous allons le voir par la suite, la France pourrait capitaliser sur cet avantage en associant navetiers et opérateurs de transport (RATP, Keolis, Transdev) qui eux possèdent une expertise dans la supervision de flottes. Keolis est notamment entré au capital de Navya en octobre 2016 lors d’une augmentation de capital de 30 millions d’euros à laquelle Valeo a également participé.
Les robots-taxis
Le marché des robots-taxis va se développer plutôt rapidement, particulièrement dans des environnements propices (vitesse peu élevée, routes quadrillées sur le modèle américain, infrastructures spécifiques avec voies dédiées). Singapour est la première capitale mondiale à avoir testé – dès août 2016 – des robots-taxis en situation réelle, suivie de très près par Pittsburgh (Pennsylvanie, USA) en septembre 2016. L’argument économique accélèrera le déploiement : en divisant le prix d’une course par 3 ou 4, les clients vont naturellement se tourner vers ces solutions de transport, d’autant plus qu’elles permettront de desservir des zones peu ou mal desservies aujourd’hui. Ce marché est la cible principale des fournisseurs de services (Uber, Google, Lyft…) qui s’attaquent directement aux voitures autonomes de niveau 5. On peut également imaginer à terme des modèles du type Autolib, ce dernier constituant déjà aujourd’hui une flotte de véhicules partagés, ouverte au public. L’écueil de l’exigence de sûreté de fonctionnement – moins d’une panne pour 1 milliard d’heures de fonctionnement – pourrait retarder le déploiement des robots-taxis en particulier à vitesse élevée ou en zone moins propice.
Le véhicule autonome particulier
Le développement de ce marché sera progressif. Le parc automobile se renouvelle tous les 18 ans environ9 et le coût des fonctions d’autonomie reste aujourd’hui élevé, même s’il est amené à baisser rapidement quand on voit le prix de la Tesla Model 3 (autour de 40 000 euros attendus fin 2017). À la différence des robots-taxis qui seront dès le départ tous autonomes, ces voitures verront leur autonomie s’améliorer de manière incrémentale grâce à des mises à jour faites à distance (comme pour la Tesla). Les premières fonctions d’autonomie (déjà existantes dans les premiums allemands et chez Tesla) concerneront la conduite dans les embouteillages ou sur autoroute ainsi que le stationnement autonome (valet parking). L’écueil de l’exigence de sûreté de fonctionnement reste vrai pour ce type de véhicules.
Le véhicule autonome industriel
Le développement du camion autonome se fera en 2 étapes, d’abord via le platooning (convoi de camions intelligents dans lequel seul le premier camion a un chauffeur). Cette étape est déjà aujourd’hui presque une réalité et permet un gain d’énergie important. Dans un second temps, nous pensons que l’autonomie pourra se faire de façon partielle – seulement sur autoroute – supposant que les chauffeurs amèneront les camions jusqu’aux aires d’autoroute. Prenons l’exemple d’un trajet Paris-Madrid : un chauffeur conduira le camion jusqu’à une aire dédiée à la sortie de Paris ; le camion sera autonome sur autoroute depuis l’aire de Paris jusqu’à l’aire de Madrid, sur laquelle un autre chauffeur le récupérera pour le conduire à sa destination finale.
Le véhicule autonome va donc très vite arriver sur nos routes. Plusieurs marchés sont en train de se développer et différents niveaux d’autonomie vont cohabiter. Focalisons-nous désormais davantage sur la France et analysons son positionnement par rapport aux autres pays.
- 2 – A la SNCF, le train sans conducteur est déjà sur les rails, Le Monde Economie, Juin 2017
- 3 – Etude NHTSA 2015 : https://crashstats.nhtsa.dot.gov/Api/Public/ViewPublication/812115
- 4 – ITF Lisbon Study : Urban Mobility Upgrade, how shared self-driving cars could change city traffic, 2015
- 5 – What taxis’ operating costs can tell us about driverless cars’ potential, Urbankchoze, August 2014
- 6 – A La Rochelle, on a testé les minibus sans chauffeur !, Actu Environnement, Mai 2015
- 7 – Voir par exemple Voiture autonome : la menace pirate, Libération, 29 Septembre 2016
- 8 – L’assurance des risques cyber, Gaspard Férey, Nicolas Grorod & Simon Leguil, Juillet 2017
- 9 – La voiture sans chauffeur, bientôt une réalité, La Note d’analyse n°47, France
La France en retard ? Oui.
Le déploiement du véhicule autonome est une innovation structurante et inéluctable qui va redéfinir le concept de mobilité. La France – comme tous les autres pays – a un intérêt stratégique à être un acteur de cette révolution, en étant parmi les premiers à mettre des véhicules autonomes sur les routes. Au regard du poids de l’industrie automobile dans l’industrie française10, la France joue sur l’échiquier mondial une partie déterminante avec des enjeux industriels critiques.
La course au véhicule autonome est désormais lancée entre les États. Comme nous allons le voir, la France – particulièrement les constructeurs – a pris du retard à l’allumage sur trois points : l’organisation de l’État pour traiter le sujet, la technologie et enfin la réglementation.
Des dispositifs nationaux initialement trop timides
Le sujet véhicule autonome dépend de 4 ministères :
- le ministère des Transports via la Direction Générale des Infrastructures, des Transports et de la Mer (DGITM) ;
- le ministère de l’Économie et des Finances via la Direction Générale des Entreprises (DGE) ;
- le ministère de la Transition écologique et solidaire via la Direction Générale de l’Énergie et du Climat (DGEC) ;
- le ministère de l’Intérieur via la Direction de la Sécurité Routière (DSR).
Les directeurs généraux de ces quatre administrations (ainsi que les responsables du sujet véhicule autonome) se réunissent plusieurs fois par an lors de réunions interministérielles pour coordonner les travaux et fixer les grandes orientations en matière de véhicule autonome.
Le plan Nouvelle France Industrielle
En 2013, dans le cadre de la Nouvelle France Industrielle (NFI) lancée par Arnaud Montebourg, la France a fait du véhicule autonome un de ses 34 plans prioritaires intitulé « véhicules à pilotage automatique ». Les objectifs étaient de positionner l’industrie française comme :
- pionnière dans le développement des véhicules autonomes pour tous ;
- une terre d’expérimentations du véhicule autonome ;
- un leader en « sécurité des systèmes complexes » ;
- un centre d’excellence de l’intelligence embarquée.
Dans le cadre de ce plan NFI, un comité de pilotage a été institué, regroupant constructeurs, équipementiers, sociétés de transport, laboratoires de recherches, pôles de compétitivité et services de l’État entre autres. Ce plan a permis d’élaborer en 2014 une feuille de route traçant les perspectives pour chacun des quatre objectifs visés. Bien que cette structure ait permis de faire prendre conscience de l’importance du sujet, les moyens mis en place au départ nous ont semblé insuffisants au regard des enjeux affichés. Ainsi, le rôle du comité de pilotage s’est limité dans un premier temps à définir des accords sur des aspects – faisant partie du champ précompétitif – qui ne concernaient pas directement la technologie :
- échanges avec les services de l’État et les instances internationales ;
- préparation et mise en œuvre des expérimentations (cadrage des usages, définition des sites d’expérimentations, bilan partagé des expérimentations) ;
- préparation de l’écosystème (cadre juridique et réglementaire, dispositif de formation, dispositif assurantiel, recommandations pour le soutien aux filières industrielles) ;
- étude des nouvelles briques technologiques collaboratives (intelligence embarquée, interface homme-machine, connectivité, infrastructure, validation/simulation).
Selon les industriels, ce plan n’a, à ce stade, pas apporté grand-chose sur le plan de l’innovation. Il convient cependant de noter que les deux premiers cas d’usage auquel s’est attaqué le plan NFI, à savoir la conduite dans les embouteillages et sur autoroute, ne présentent que peu de difficultés technologiques, ce qui a permis aux constructeurs français de les développer exclusivement en interne. Renault et PSA privilégient en effet leur propre écosystème aux dépens de l’axe français. Les industriels commencent tout de même à davantage partager sur la base de la technologie pour traiter les dessertes fines d’un territoire délimité, en zone urbaine ou périurbaine, qui posent encore un grand nombre de problèmes techniques.
L’annexe 1 présente de façon détaillée l’organisation des groupes de travail au sein de ce programme NFI.
L’évolution a été notable lorsque le ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, Emmanuel Macron, a réorganisé en mai 2015 les 34 plans NFI en 9 solutions industrielles. Le sujet véhicule autonome a été intégré au sein de la solution « mobilité écologique » aux côtés de sujets tels que le véhicule 2L/100 et le véhicule électrique. Ce regroupement a eu la vertu de sortir du « travail en silo » et de faire davantage travailler les acteurs entre eux. Par exemple, le véhicule autonome n’est pas nécessairement électrique tandis que le développement d’une nouvelle mobilité s’inscrit naturellement dans le contexte de la transition énergétique. L’État avait tout intérêt à regrouper au sein d’une même solution les projets « véhicule autonome » et « véhicule électrique ». L’approche d’Emmanuel Macron – moins dirigiste que celle de son prédécesseur – témoigne d’une plus grande confiance dans les acteurs privés qui doivent rester le cœur de l’innovation.
Les principaux résultats du plan sont à ce jour :
- la définition des axes de recherche utilisables dans le cadre des appels à projet nationaux ;
- des démonstrations de véhicule autonome lors d’ITS Bordeaux en octobre 2015 et lors de la journée de signature de la déclaration d’Amsterdam en avril 2016 par les 28 ministres des transports européens ;
- la signature d’un site commun d’expérimentation franco-allemand.
Les instituts de recherche
Le plan NFI a décidé de donner des responsabilités privilégiées à l’Institut pour la Transition Énergétique (ITE) Vedecom ainsi qu’à l’Institut de Recherche Technologique (IRT) SystemX. Ces deux instituts de recherche, qui sont à la fois financés par le public et le privé, travaillent sur des thématiques bien plus larges que sur le seul véhicule autonome. À ce stade, nous avons recensé peu de résultats importants de la part de ces instituts hormis les travaux sur un des points clés du véhicule, à savoir la sûreté de fonctionnement. Ainsi, Vedecom est en train de constituer une base de scénarios à risque (situations identifiées comme dangereuses pour un véhicule autonome) via le projet Moove et l’institut SystemX (via le projet SVA) est en train de constituer la plateforme de simulation nécessaire à la validation de la sécurité d’utilisation du véhicule autonome. Les deux projets sont articulés et cette base mise en commun entre les constructeurs pourra permettre à terme de tester la sûreté de fonctionnement d’un véhicule autonome grâce à un simulateur.
Programme d’Investissements d’Avenir
L’État a également mis en place un Programme d’Investissements d’Avenir (PIA) doté de près de 47 milliards d’euros afin de financer des projets innovants et prometteurs sur le territoire (avec un principe de cofinancement). Le Commissariat Général à l’Investissement (CGI) est chargé de la mise en œuvre de ce programme. D’une part, l’ADEME (Agence De l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie) agit en tant qu’opérateur en analysant les projets. Lors des PIA 1 (35 milliards d’euros) et PIA 2 (12 milliards d’euros), une enveloppe de 750 millions d’euros a été réservée à l’automobile. Il n’y a eu aucun financement pour des sujets concernant le véhicule autonome avant l’année 2016 et seulement 75 millions d’euros en 2016. Le faible montant s’explique en partie par l’absence de propositions de projets pertinents présentés par les industriels. À cela, plusieurs raisons : des conditions faiblement avantageuses, ce qui demande beaucoup d’efforts pour peu de sommes récupérées, et une orientation des efforts vers l’axe « véhicule 2L/100 » qui a capté une grande part des fonds.
Néanmoins, certains industriels nous ont fait part de leur scepticisme quant à l’ADEME qui regarderait les projets avec un prisme trop environnemental alors que le premier bienfait du véhicule autonome n’est pas forcément écologique. L’ADEME se focaliserait trop sur la recherche fondamentale ou l’innovation de rupture. La concrétisation des technologies pour le véhicule autonome passera au contraire par une somme massive de travaux de recherche appliquée dont la mise en œuvre présente une vraie rupture, ce qui n’est pas nécessairement bien compris par les pouvoirs publics.
Le Programme d’Investissements d’Avenir a par ailleurs financé la moitié des budgets des instituts de recherche Vedecom et System X. La Banque Publique d’Investissement (BPI) a également perçu des financements qui vont notamment permettre la création d’un centre d’essai dédié au véhicule autonome.
Un troisième volet du PIA doté de 10 milliards d’euros est en train d’être lancé. À la différence des précédents, il ne sera pas structuré par secteur, mais de l’amont (l’enseignement et la recherche) vers l’aval (l’innovation et le développement des entreprises) autour de deux vecteurs de transformation de notre économie et de notre société : la transition vers le monde numérique et l’impératif du développement durable.11
Comparaison internationale : des investissements français modérés
Il est intéressant de comparer les programmes nationaux avec la situation d’autres pays. Aux États-Unis, Barack Obama a lancé en janvier 2016 un plan de soutien au véhicule autonome de 4 milliards de dollars échelonné sur 10 ans avec des infrastructures à la clef. Le Royaume-Uni a attribué dès 2015 un budget de 100 millions de livres pour le déploiement du véhicule autonome et a créé en 2016 une unité interministérielle. Ce centre pour les véhicules connectés et autonomes (CCAV12), doté de 200 millions de livres, constitue le point de contact unique assurant la coordination entre le département des transports, le département de l’industrie, et le reste du gouvernement. De son côté, l’Allemagne a mis en place dès avril 2016 une zone de tests privilégiée en donnant accès à l’autoroute A9 de Bavière et plusieurs villes. Le ministère allemand des Transports a consacré environ 100 millions d’euros au financement de projets de recherche dans ces zones d’essai. À titre de comparaison, la France a récemment décidé de se doter d’un centre d’essai (avec un budget de 15 millions d’euros financé à moitié par la BPI) qui ne sera opérationnel qu’en 2018.
Il faut tout de même noter que le crédit impôt recherche constitue en France un soutien financier important pour la recherche, même s’il nous est difficile d’estimer les montants consacrés au véhicule autonome.
Pour résumer, le véhicule autonome a subi un retard à l’allumage certain. Le sujet a mis du temps à se lancer du fait d’une dispersion des moyens. Les dispositifs mis en place en France pour développer un écosystème favorable nous semblent insuffisants au regard des ambitions affichées, notamment concernant l’effort d’innovation technologique. La situation évolue désormais dans le bon sens compte tenu d’un meilleur pilotage du projet et d’une plus grande coordination des équipes interministérielles.
Notre retard technologique
Le véhicule autonome : qu’est-ce que c’est ?
Rentrons (enfin !) dans la description plus précise et technique du véhicule autonome, en s’intéressant dans un premier temps à ce qui constitue un véhicule autonome.
Un véhicule autonome, c’est avant tout un véhicule. Ses caractéristiques n’ont pas à différer nécessairement d’un véhicule non autonome. La seule obligation est de pouvoir contrôler les différents éléments de la voiture (principalement direction et puissance du moteur) via des commandes électriques. Il faut en effet une interface entre l’entité qui prend les décisions de conduite, et les systèmes qui influent sur le comportement physique du véhicule. Selon certains acteurs (Valeo, Tesla), rendre un véhicule électrique autonome sera plus simple que pour un véhicule diesel ou à essence. Les véhicules autonomes auront donc tendance à être plutôt électriques, mais les deux cohabiteront et cohabitent déjà.
Les véhicules autonomes auront tendance à être des véhicules connectés. Ce ne sera pas une nécessité, et un véhicule complètement autonome devra être en mesure de faire face à des cas de figure où il n’aura pas accès à une connexion avec d’autres systèmes. Mais cela pourra aider le véhicule autonome à fonctionner. La connexion lui permettra de télécharger de nouvelles cartes, soit pour les mettre à jour, soit pour se rendre dans de nouvelles zones géographiques. Elle lui permettra de connaître le trafic sur les routes qu’il peut emprunter vers une destination, et d’optimiser son trajet.
Elle lui permettra de recueillir des informations sur son environnement immédiat d’autres systèmes avoisinants. Un carrefour aveugle en ville pourrait ainsi être muni de capteurs et d’émetteurs, indiquant à tous les véhicules approchant si d’autres véhicules sont proches de s’engager sur la voie. Un véhicule arrêté pour laisser passer un piéton pourra transmettre l’information du piéton qu’il masque aux véhicules derrière lui.
La connectivité sera particulièrement utile pour les zones de travaux : la signalisation dans des zones de travaux peut être complètement incohérente et incompréhensible pour les logiciels d’autonomie, et il faudra y mettre en place une communication électronique permettant aux véhicules autonomes de traverser ces zones. Ce type d’échanges constituera une amélioration de la sûreté de fonctionnement des véhicules, mais nous pensons que le véhicule autonome devra fonctionner sans eux dans un premier temps, et que par conséquent cela ne constituera pas une brique essentielle de son développement.
Un véhicule autonome sera donc un véhicule quasi systématiquement connecté et très souvent électrique, auquel on adjoindra trois éléments : des capteurs, des algorithmes, et une importante puissance de calcul.
Le véhicule autonome utilise plusieurs types de capteurs, pour la plupart anciens dans leur concept. Les trois principaux sont le radar, la caméra, et le lidar. Les premières caméras sont apparues à la fin du XIXe siècle, les premiers radars dans les années 1930, et les premiers lidars dans les années 1960. Le lidar est un capteur reprenant le principe de fonctionnement du radar, mais utilisant de la lumière en lieu et place des ondes radio qu’utilise le radar. Chaque constructeur développe ses véhicules en y intégrant les capteurs qu’il estime nécessaire. La Tesla par exemple vient récemment de passer à un système à 8 caméras, un radar, et un capteur à ultrasons.
Les informations renvoyées par ces capteurs sont ensuite analysées par des algorithmes de traitement d’images. Comme nous l’avons expliqué plus haut, ce traitement peut être effectué par des systèmes placés au niveau des capteurs, ou au sein de l’ordinateur central. Les algorithmes utilisés sont des algorithmes de reconnaissance d’images qui ont été développés à la fin des années 199013. Ils permettent de reconnaître à l’image toutes les formes utiles à la compréhension de l’environnement, tâche dont l’être humain s’acquitte sans même y réfléchir : routes, lignes de signalisation, rambardes, panneaux, véhicules, passants. Google et Facebook sont les entreprises considérées comme à la pointe de ce domaine.
Ces algorithmes sont aujourd’hui indispensables aux systèmes utilisés dans les véhicules autonomes, mais nous pouvons noter que la toute première version d’un véhicule conduit par un logiciel a été développée à l’université Carnegie Mellon en 1995, avant la généralisation du traitement d’images14. Le véhicule ne gérait que sa direction et non pas sa vitesse, et ne correspondait donc pas à notre définition de véhicule autonome. C’était néanmoins à l’époque une belle prouesse technologique.
La reconnaissance d’images requiert une importante puissance de calcul, a fortiori lorsqu’elle doit être effectuée sur une douzaine de capteurs, que l’information doit être fusionnée pour permettre la prise de décision, et que le tout doit être effectué en temps réel, à haute fréquence. C’est la puissance de calcul requise qui explique que le véhicule autonome ne se développe qu’aujourd’hui, dans les années 2010, et pas quinze ans plus tôt. Cette puissance de calcul doit être embarquée à bord de véhicules où la place disponible est restreinte, et par conséquent la miniaturisation des processeurs est elle aussi une clé du développement du véhicule autonome.
Différents niveaux d’autonomie
La NHTSA (National Highway Traffic Safety Administration), agence fédérale américaine des États-Unis chargée de la sécurité routière, a adopté en janvier 2016 les standards du SAE International (anciennement SAE, Society of Automotive Engineers) quant à la définition des niveaux d’autonomie du véhicule. Depuis cette date, ces standards sont considérés comme les standards internationaux et l’ensemble des acteurs du véhicule autonome s’y réfère.
Ces standards comportent cinq niveaux d’automatisation (en plus du niveau zéro), que nous traduisons ci-dessous :
- Niveau Zéro : aucune automatisation. Le conducteur humain est en permanence en charge de tous les aspects de la tâche de conduite dynamique15, même s’il est aidé par des systèmes d’alertes ou d’intervention ;
- Niveau Un : assistance au conducteur. Un système d’assistance à la conduite est en charge, spécifiquement en mode conduite16, soit de la direction, soit de l’accélération/décélération, en utilisant des informations sur l’environnement de conduite, et en se reposant sur le conducteur humain pour s’occuper de tous les aspects restants de la tâche de conduite dynamique ;
- Niveau Deux : automatisation partielle. Un ou plusieurs systèmes d’assistance à la conduite sont en charge, spécifiquement en mode conduite, du freinage et de l’accélération/décélération, en utilisant des informations sur l’environnement de conduite, et en en se reposant sur le conducteur humain pour s’occuper de tous les aspects restants de la tâche de conduite dynamique ;
- Niveau Trois : automatisation conditionnelle. Un système de conduite autonome est en charge, spécifiquement en mode conduite, de tous les aspects de la tâche de conduite dynamique, et attend du conducteur humain qu’il répondra de manière appropriée à une requête d’intervention ;
- Niveau Quatre : automatisation élevée. Un système de conduite autonome est en charge, spécifiquement en mode conduite, de tous les aspects de la tâche de conduite dynamique, même si le conducteur humain ne répond pas de manière appropriée à une requête d’intervention ;
- Niveau Cinq : automatisation totale. Un système de conduite autonome est en charge, en permanence, de tous les aspects de la tâche de conduite dynamique, dans toutes les conditions de route et d’environnement qui peuvent être gérées par un conducteur humain.
Ci-dessous le document tel que présenté sur le site de la SAE :
Les constructeurs : état d’avancement
Les constructeurs travaillent sur le développement de véhicules autonomes, et cherchent à monter dans les niveaux d’autonomie au fur et à mesure de leurs avancées. Si les positions exactes de chacun en termes de recherche et développement constituent des informations confidentielles, qu’il est donc difficile de comparer, nous pouvons nous intéresser à ce qui est visible : les fonctionnalités des véhicules commercialisés.
Les constructeurs allemands ont mis en vente, depuis plusieurs années, des véhicules qui sont considérés comme au niveau 2 d’autonomie. Mercedes, BMW, et Audi, ont ainsi tous les trois des véhicules disponibles à la vente, avec des fonctionnalités d’autonomie que les usagers ont déjà commencé à utiliser. Elles permettent principalement de déléguer la conduite sur autoroute, et le font de manière plus ou moins robuste. De plus elles requièrent du conducteur de continuer à monitorer l’environnement de conduite, et d’être en mesure de reprendre la main à tout instant si le système de conduite autonome défaille.
Tesla a elle aussi commercialisé des véhicules autonomes, et l’on peut considérer à présent que le degré d’autonomie des derniers modèles se situe entre le niveau 2 et le niveau 3 : officiellement du niveau 2, donc, mais très proche d’accéder au niveau 3. Tesla a construit son avance en la matière sur la connectivité de ses véhicules : elle recueille les données de conduite de tous ses véhicules, et peut effectuer des mises à jour de logiciel à distance sur tous les véhicules de sa flotte. Cela lui permet une agilité importante, et d’acquérir d’importantes quantités de données expérimentales beaucoup plus rapidement que tous ses concurrents.
Nous ne décrivons pas ici l’avancée de tous les constructeurs ayant mis des véhicules sur le marché. On pourra cependant trouver sur le Web des études comparatives des performances des véhicules autonomes, qui placent systématiquement la Tesla au premier rang de ceux-ci17.
Les nouveaux entrants du véhicule autonome ont choisi une stratégie différente. Au lieu de monter dans les niveaux d’autonomie progressivement, comme les constructeurs évoqués ci-dessous, ils essaient de développer directement un véhicule d’autonomie de niveau 5, et ils commercialiseront ces véhicules lorsqu’ils auront atteint cet objectif.
C’est le cas de Google, qui développe son système Google Car, destiné à être complètement autonome en milieu urbain. Google espère être la première entreprise en mesure de commercialiser un logiciel de robot-taxi complètement autonome, ce qui lui donnerait un avantage commercial considérable sur la concurrence, et lui permettrait d’acquérir d’importantes parts de marché très rapidement.
À l’instar de Google, la start-up Otto, que nous avons évoquée précédemment, cherche, elle aussi, à développer un camion complètement autonome sans passer par les niveaux 1 à 4 d’autonomie. Ceci est plus accessible car les camions roulent principalement sur autoroute, et que Otto ne s’interdit pas de faire faire les premiers et derniers kilomètres de route à des conducteurs humains, au moins dans un premier temps.
Des constructeurs allemands et américains ont donc déjà commercialisé des véhicules autonomes de niveau 2. Ce qui frappe si l’on regarde l’état d’avancée des constructeurs, c’est l’absence de véhicule autonome français sur le marché. Les constructeurs français, Renault et Peugeot, ont des programmes de développement de véhicule autonome, et vendent des véhicules avec des fonctionnalités d’assistance à la conduite, telles que l’alerte en cas de franchissement de ligne, mais n’ont pas encore de véhicule de niveau 2 en vente.
Si l’on s’intéresse de plus près à la chronologie des développements, on peut constater que le retard des constructeurs français existe depuis plusieurs années. Google a commencé ses expérimentations sur sa Google Car en 2012, Mercedes a commencé à expérimenter un véhicule autonome de niveau deux en 2013, et Renault et Peugeot ont quant à eux commencé des expérimentations de véhicule de niveau 2 en 2015.
En termes de commercialisation, la Tesla de niveau 2 est en vente depuis 2014, la Mercedes depuis 2015, et la BMW depuis 2016. Renault et Peugeot ont annoncé la mise en vente de véhicules avec une autonomie de niveau 2 en 2018.
Se voiler la face
L’état d’avancement présenté dans la section précédente ne reprend que des faits avérés et aisément disponibles sur Internet ou chez les concessionnaires de véhicules (si toutefois vous avez les moyens de vous acheter un modèle de chacun des constructeurs premium). Cependant nous avons été marqués, dans nos discussions avec différents interlocuteurs, principalement de l’administration, par le désaccord que ceux-ci nous opposaient. Ce désaccord reposait sur deux arguments majeurs que nous essayons ici d’invalider.
Le premier argument est un argument sur la gamme de véhicules. Tous les constructeurs évoqués ci-dessous et plus avancés sur le véhicule autonome sont des constructeurs premium, alors que Renault et Peugeot se situent plus bas en gamme et sont considérés comme des généralistes. Des véhicules tels que les Mercedes ou BMW sont vendus entre 50 000 € et 150 000 €, alors que Renault et Peugeot vendent des véhicules entre 10 000 € et 15 000 €.
Or la fonctionnalité d’autonomie revient aujourd’hui encore assez chère à la vente, de l’ordre de 10 000 €. Il est donc beaucoup plus facile pour les constructeurs premium d’augmenter leurs prix de 10 %, car leurs clients seront prêts à payer la différence, que pour les généralistes de doubler le prix de leurs véhicules, car leurs clients ne seront pas prêts à payer cette différence.
Par conséquent, Renault et Peugeot auraient un intérêt moindre à développer un véhicule autonome, et ne pourraient pas le mettre sur le marché car il serait invendable.
Tout ceci est vrai, et parfaitement valable, cependant cela ne démontre pas que les constructeurs français ne sont pas en retard. Cela explique simplement la raison de ce retard, et ce de manière parfaitement raisonnable. On peut même y ajouter les récentes difficultés de nos constructeurs, à l’instar de Peugeot qui, il y a quelques années, était en crise profonde, et qui par conséquent n’a pas été en mesure, pendant plusieurs années, de dégager les montants nécessaires à l’investissement dans une technologie comme le véhicule autonome.
Cette explication ne devrait pas rassurer les analystes sur la situation des constructeurs français, pour deux raisons. D’une part, les fonctionnalités sont toujours descendues du haut de gamme vers l’entrée de gamme. Ce fut le cas de l’Airbag, présent dans un premier temps sur les véhicules haut de gamme, et désormais installés sur tous les véhicules. D’autre part, il existe tout de même un risque important, pour les constructeurs arrivant le plus tard sur le marché, d’arriver tout simplement trop tard.
Si demain Mercedes devient le premier constructeur à commercialiser un véhicule complètement autonome, les entreprises fournissant des solutions de mobilité passeront le plus vite possible d’importantes commandes de véhicules autonomes auprès d’elle. Uber par exemple, aurait en effet tout intérêt à profiter au plus vite des économies réalisables grâce à un système de flottes de robots-taxis autonomes.
Le marché se consoliderait avec les quelques premiers constructeurs fournissant la technologie d’autonomie. Dans un scénario où la propriété individuelle de véhicules viendrait à drastiquement baisser au profit d’une telle mobilité partagée, les constructeurs arrivant le plus tard verraient alors leurs parts de marché diminuer de manière conséquente. Le risque est donc majeur, et la course au véhicule autonome représente un enjeu crucial pour les constructeurs.
Le second argument repose sur le fait que les constructeurs traditionnels ont depuis quelques années été relégués au rang d’ensemblier. Ils ne développent que très peu d’éléments de la voiture eux-mêmes, et achètent en fait leur voiture en pièces détachées auprès de leurs fournisseurs, pour ne plus réaliser que la tâche d’assemblage. Cette description est partiellement vraie, les constructeurs ayant effectivement délaissé une part importante (80 %) de la valeur ajoutée de leurs véhicules à leurs sous-traitants.
Les constructeurs n’auraient donc pas à se préoccuper du véhicule autonome, et devraient laisser le soin à leurs équipementiers de le faire, pour ensuite acheter la fonctionnalité sur étagère, de la même manière qu’ils leur achètent les phares, les pneus, ou encore les systèmes embarqués du véhicule.
Cet argument est très dangereux, pour deux raisons. D’une part les constructeurs ont déjà perdu la majeure partie de la valeur ajoutée du véhicule, et la fonction d’autonomie en représentera une grande partie dans les véhicules autonomes. Ne pas se positionner sur ce créneau représenterait donc une perte supplémentaire de valeur ajoutée, et des marges encore réduites. Ce serait un scénario dramatique pour des constructeurs qui opèrent déjà avec des marges très fines.
D’autre part, les équipementiers ne vont vraisemblablement pas développer de fonctionnalité d’autonomie qu’ils vendront sur étagère (c’est ce qu’annonce Valeo). La raison principale est que la fonction d’autonomie du véhicule dépend trop du véhicule lui-même pour être développée séparément, puis implantée sur n’importe quel véhicule. La faisabilité technologique n’est donc pas assurée.
Les équipementiers cherchent à remonter dans la chaîne de valeur, en développant des capteurs plus intelligents, et en travaillant sur la fusion de capteurs. La question est de savoir jusqu’où ils remonteront, mais à notre sens ils ne remonteront pas jusqu’en haut, et jusqu’au système central qui contrôle le véhicule. Tout l’enjeu avec les constructeurs sera de savoir à quel niveau les constructeurs reprendront la main sur le logiciel, et plus ce niveau sera élevé, plus les équipementiers auront gagné en valeur ajoutée dans le véhicule.
Les constructeurs français travaillent davantage sur le sujet du véhicule autonome dans le cadre de partenariats internationaux : Renault avec Nissan au sein de l’alliance, PSA éventuellement dans le futur avec Opel. Ces projets sont des points positifs pour les entreprises en tant que telles, mais ne rassurent pas sur la pérennité des emplois d’ingénieurs en France au sein de ces partenariats.
La France peut se réjouir d’un autre aspect positif dans la filière automobile : le positionnement de ses équipementiers. Valeo semble ne pas avoir de retard sur le sujet du véhicule autonome, ses capteurs étant vendus à l’ensemble des constructeurs de la planète. La société Tesla elle-même nous indiquait utiliser des capteurs de Valeo, preuve que l’entreprise ne manque pas de visibilité au sein du milieu.
Les nouveaux entrants
La perspective de véhicules complètement autonomes a attiré de nouveaux entrants sur le marché de l’automobile, un marché auparavant occupé par des entreprises existant depuis plusieurs décennies, voire plus de cent ans. Ces entreprises centenaires voient à présent leur écosystème s’agrandir à des entreprises beaucoup plus jeunes, et complètement ancrées dans le numérique.
L’exemple le plus marquant est sans conteste Tesla, entreprise créée en 2003, et qui est aujourd’hui considérée comme à la pointe sur le sujet. Destinée initialement à construire des véhicules électriques, Tesla s’est ensuite positionnée sur le véhicule électrique autonome et connecté, et profite de son agilité pour avancer à grande vitesse. Sa jeunesse et sa capacité à attirer les plus grands talents lui confèrent des avantages certains, retranscrits dans ses technologies, comme la mise à jour de ses véhicules à distance.
Le véhicule autonome a également attiré des géants du numérique. Apple a fait plusieurs annonces contradictoires sur le sujet au cours de l’année 2017, mais c’est bien Google qui s’est emparé du sujet, et qui est considéré comme le mieux placé pour commercialiser en premier un véhicule autonome en milieu urbain. Les nouveaux entrants comprennent les constructeurs de processeurs comme Nvidia, des nouvelles applications de mobilité comme Uber ou Lyft, des startups du numérique prometteuses comme Here, qui développe la cartographie 3D nécessaire au véhicule autonome, ou Mobileye, très avancée sur le logiciel d’autonomie.
Ces nouveaux entrants ne représentent pas simplement un buzz médiatique, si on pouvait encore en douter. Des acquisitions colossales ont eu lieu très récemment dans le secteur, avec par exemple le rachat de Harman (un équipementier automobile américain) par Samsung pour huit milliards de dollars en novembre 2016, ou le rachat de Mobileye (qui développe un logiciel d’autonomie) par Intel pour quinze milliards de dollars en mars 2017. L’intérêt pour le véhicule autonome est donc très concret.
Ce qui frappe à nouveau, lorsque l’on étudie ces nouveaux entrants numériques dans l’écosystème du véhicule, est l’absence d’entreprises françaises. Google, Tesla, Nvidia, Uber, sont des sociétés américaines. Here est une société américaine qui a été rachetée par un consortium allemand composé de Daimler, BMW, et Audi. Mobileye est une société israélienne passée sous pavillon américain lors de son rachat par Intel. Mais aucune société française n’a percé dans ce domaine numérique. Le risque pour la France est de présenter un trou important dans la chaîne de valeur du véhicule autonome, et de se retrouver fortement dépendante d’entreprises complètement étrangères pour assurer le développement du véhicule autonome sur son sol.
Notre retard réglementaire
L’Europe face aux USA
L’Europe et les États-Unis ont choisi deux approches différentes en ce qui concerne la réglementation du véhicule autonome.
L’Europe suit la ligne de conduite qui est la sienne depuis l’origine en matière de réglementation. Le principe est de fournir un cadre réglementaire complet aux entreprises souhaitant développer une technologie, pour que celles-ci puissent modifier leurs produits en conséquence. Elles sont alors assurées que, si elles respectent scrupuleusement les réglementations en vigueur, elles ne seront pas poursuivies en cas d’incident.
C’est ce qui est en train de se passer sur le véhicule autonome. Les États membres de l’Union européenne cherchent à faire évoluer les réglementations existantes, et à en écrire de nouvelles, pour autoriser la circulation de véhicules autonomes, et leur fournir un cadre stable. Le texte principal sur la circulation routière est la convention de Vienne, qui date de 196818<. Celle-ci a été amendée en mars 2016, afin d’autoriser explicitement « les systèmes de conduite automatisée […], à condition qu’ils soient conformes aux règlements des Nations Unies sur les véhicules ou qu’ils puissent être contrôlés, voire désactivés par le conducteur. »19
Cependant ce n’est qu’une petite étape, car la convention de Vienne stipule toujours, entre autres, que « Tout véhicule […] doit avoir un conducteur » (Art. 8-1.) et que « Le conducteur d’un véhicule doit éviter toute activité autre que la conduite. » (Art. 8-6.). Un véhicule complètement autonome commercialisé demain ne pourrait donc pas rouler sur les routes européennes, car il ne respecterait pas cette convention de Vienne.
Au-delà de l’autorisation des véhicules autonomes inscrite dans les textes communautaires, le réel enjeu se situe au niveau de l’homologation. Modifier à nouveau la convention de Vienne pour qu’elle autorise tous les véhicules autonomes sans restriction ne représenterait pas de défi technique, mais nécessiterait l’accord des pays signataires. S’accorder sur l’homologation de ces véhicules représente par contre un défi technique majeur.
Il s’agit de déterminer comment les logiciels d’autonomie vont être homologués, et déclarés assez sécurisés pour être autorisés sur les routes. Aucun accord de principe n’a été trouvé sur la méthode à employer, mais il semble que l’on se dirige vers une combinaison de plusieurs tests visant à s’assurer de la fiabilité des véhicules : un certain nombre de kilomètres sur route en expérimentation ; un certain nombre de tests sur piste de tests, avec gestion d’événements imprévus ; un certain nombre d’heures de test sur simulateur, avec là encore des événements critiques intégrés au simulateur. Comme on peut le voir, il ne s’agirait pas d’analyser en profondeur le logiciel lui-même, et les milliers de lignes de code. Ce serait d’ailleurs impossible techniquement.
Le problème est que la définition de ce processus d’homologation prend du temps. Trop de temps. Plusieurs années, d’après l’expérience passée, et selon les dires de la DGEC (Direction Générale de l’Énergie et du Climat), la direction en charge de ces sujets au sein de l’administration française. Malheureusement, les industriels avancent beaucoup plus rapidement que la réglementation, et auraient besoin de ces procédures demain, et non pas dans trois ou cinq ans. On a donc un décalage entre le temps de l’innovation, et le temps de la réglementation, qui pourrait être fatal au développement rapide du véhicule autonome, du moins en Europe.
Les États-Unis, en accord avec le mode de pensée anglo-saxon, fonctionnent selon un tout autre principe. Au lieu de tout réglementer en amont, et de donner un cadre précis aux véhicules qui doivent être construits, les États-Unis laissent au contraire les constructeurs faire. Et c’est lorsqu’il y aura des incidents que les autorités américaines étudieront les précautions prises par les constructeurs en matière de sécurité, et sanctionneront ceux-ci si elles estiment ces précautions insuffisantes.
De plus, les États-Unis étant un état fédéral, chaque État est libre d’émettre les réglementations qu’il souhaite. Ainsi certains États américains ont déjà fait passer des lois autorisant les véhicules autonomes. C’est le cas de la Californie, du Nevada, de la Floride, du Tennessee, du Michigan. D’autres États ont refusé de passer de telles lois : Oregon, Texas, Alabama, Colorado entre autres.
On assiste donc à une compétition entre continents, et entre États au sein de ces continents, pour autoriser les véhicules autonomes au plus vite. L’intérêt est d’attirer des investisseurs et des expérimentations de véhicules autonomes. Attirer des investisseurs revêt un intérêt financier, et attirer des expérimentations revêt un intérêt stratégique dans le développement du véhicule autonome. Les pays qui auront accueilli le plus d’expérimentations seront les mieux placés pour influer la rédaction des réglementations, et ainsi favoriser leurs lobbies automobiles nationaux.
Les États-Unis sont avantagés dans cette compétition, du fait de leur système permissif, et du fait des différences entre les différents États, qui font la compétition entre eux. Ainsi Uber avait entrepris de tester ses véhicules autonomes en Californie, malgré les avertissements des autorités californiennes sur l’illégalité de telles pratiques en l’absence d’autorisation. Sous la pression des autorités, Uber s’est résolu à abandonner ses expérimentations en Californie, et est simplement allé dans l’État voisin de l’Arizona pour les poursuivre.
Si l’on peut plaider pour adopter en Europe ce concept anglo-saxon de laisser-faire puis punition, cette question s’inscrit dans un débat de société plus large, qui est le débat de principe de précaution contre principe d’innovation. Le véhicule autonome est un exemple frappant de l’opposition entre la course à l’innovation et au progrès, et la nécessité de protéger les citoyens contre des technologies inconnues et potentiellement dangereuses. Dans le cas présent, constructeurs et administration ont un intérêt à privilégier le principe d’innovation, et on peut se poser la question de la pertinence de la précaution, puisque les véhicules autonomes déjà commercialisés présentent des taux d’accidentologie mortelle inférieurs aux véhicules usuels.20
La France au sein de l’Europe
Si la réglementation se décide au niveau européen, les États membres de l’Union Européenne gardent la main sur les autorisations d’expérimentations sur leur sol. Ces expérimentations ne sont pas gérées au niveau européen mais au niveau national. À ce titre, chaque pays d’Europe a pu choisir comment il traitait ce sujet, et il est intéressant de comparer la France avec ses deux plus importants voisins.
Le Royaume-Uni a suivi le mode de pensée anglo-saxon, en émettant un guide de bonnes pratiques (Code of Practice) en juillet 201521, déclinant toutes les recommandations de l’État sur l’expérimentation de véhicules autonomes. Un constructeur souhaitant expérimenter un véhicule au Royaume-Uni n’a qu’à suivre ces recommandations, et peut débuter son expérimentation sans requérir d’autorisation de l’autorité britannique.
L’Allemagne a rédigé un projet de loi sur le sujet en avril 2016, et la loi a été adoptée en mai 2017. Le texte requiert entre autres une présence humaine au volant, et une boîte noire enregistrant les données de conduite. Il autorise explicitement le conducteur à faire autre chose lorsque le véhicule est en mode de conduite autonome, notamment consulter son téléphone.
En France, une ordonnance datant d’Août 2016 a régularisé la situation déjà existante quant à l’expérimentation de véhicules autonomes. Cette ordonnance doit être suivie d’un décret en conseil d’État, qui n’est pas encore paru. Le texte est cependant bientôt finalisé et devrait paraître dans les prochains mois. Le processus d’autorisation d’expérimentation reste plus lourd en France qu’au Royaume-Uni : il faut transmettre un dossier d’autorisation à la DGEC, qui fait office de guichet d’entrée. Le dossier doit être validé par plusieurs entités (jusqu’à cinq : ministère des transports, ministère de l’intérieur, autorité de police, gestionnaire de la voirie, autorité organisatrice des transports).
La France semble donc avoir quelques mois de retard sur ses confrères européens en matière de publication de textes réglementaires, mais le bât blesse réellement sur le sujet de la coopération et du lobbying des constructeurs. Les constructeurs allemands sont considérés comme les maîtres en la matière : ils sont capables, même s’ils sont en compétition sur certains aspects, de trouver des terrains d’entente, et de s’associer pour pousser conjointement les propositions qui les arrangent auprès de leur autorité nationale, puis auprès de l’Europe. Les constructeurs français, au contraire, sont plutôt réputés pour le manque de coopération et la fraîcheur de leurs relations.
On trouve comme exemple marquant l’autorisation des fonctionnalités d’autonomie des véhicules allemands. Les constructeurs allemands ont poussé auprès de leur autorité, pour obtenir que les fonctionnalités d’autonomie, qu’ils comptaient installer sur leurs véhicules, fassent l’objet d’une dérogation à la convention de Vienne au niveau européen. Et ils ont obtenu gain de cause, leur autorité décidant de pousser cette motion. Les constructeurs français ont tenté d’obtenir la même dérogation, mais sont arrivés en ordre dispersé auprès de la DGEC, qui a décidé de pousser la position contraire, à savoir de ne pas accorder de dérogation pour de telles fonctionnalités.
Les constructeurs français souffrent donc de ce manque de coopération, et pourraient être amenés à en pâtir à nouveau dans le futur. Ce futur va grandement dépendre de ce que la France est amenée à faire dans les mois et années qui viennent, et c’est ce à quoi nous allons maintenant nous intéresser.
- 10 – 440 000 salariés + 2,1 millions en indirect, 16% du chiffre d’affaires de l’industrie manufacturière française en 2015, Quelle place pour la voiture demain ? Institut Montaigne, juin 2017
- 11 – Préparer la France aux défis de demain, Commissariat Général à l’Investissement, février 2017
- 12 – Centre for Connected and Autonomous Vehicles
- 13 – Object Recognition from Local Scale-Invariant Features, David G. Lowe, 1999
- 14 – Voir par exemple Back to the Future: Autonomous Driving in 1995, Roboticstrends
- 15 – La tâche de conduite dynamique inclut les aspects opérationnels (direction, freinage, accélération, surveillance du véhicule et de la route) et tactiques (réponse aux évènements, décision de changer de ligne, virages, usage des clignotants, etc.) de la tâche de conduite, mais pas son aspect stratégique (détermination de la destination et du trajet).
- 16 – Le mode conduite est un type de scénario de conduite avec des exigences caractéristiques de la tâche de conduite dynamique (par exemple insertion sur autoroute, croisière à haute vitesse, embouteillages à basse vitesse, opérations sur sites propres, etc.).
- 17 – Voir par exemple Semi-Autonomous Cars Compared! Tesla Model S vs. BMW 750i, Infiniti Q50S, and Mercedes-Benz S65 AMG sur www.caranddriver.com
- 18 – Voir le texte de la convention de Vienne : https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19680244/201609190000/0.741.10.pdf
- 19 – Les voitures autonomes autorisées par les Conventions de Vienne révisées, Challenges, Mars 2016
- 20 – 1st Tesla Autopilot Fatality … After 130 Million Miles, Clean Technica, 2016
- 21 – The Pathway to Driverless Cars: A Code Practice for testing. Moving Britain Ahead, Department for Transport, Juillet 2015
Que faire face à ce danger ?
La France est donc en retard. Mais est-ce si grave ? La France, ne pourrait-elle se contenter d’attendre et suivre le développement de loin ? NON ! Si rien n’est fait, certains acteurs – principalement les constructeurs automobiles – pourraient bien voir leur modèle économique se fragiliser. Dès lors, il convient de mobiliser les ressources nécessaires pour rattraper ce retard et anticiper les changements induits par le développement du véhicule autonome.
Un réel danger
Un déplacement substantiel de la chaîne de valeur
L’entrée fracassante d’acteurs du numérique (Google, Apple, Baidu…) de taille mondiale et possédant des capacités financières colossales entraîne un déplacement substantiel de la chaîne de valeur. Le principal risque est d’aboutir à des partenariats entre géant du numérique et constructeur qui soient totalement déséquilibrés, dans lesquels le rôle du constructeur se limiterait au seul déploiement du système d’exploitation qu’un Google, par exemple, aurait développé. C’est précisément la stratégie qu’a choisie Google en s’associant avec Fiat. Le constructeur italien fournit uniquement les véhicules et laisse toute la responsabilité de l’intelligence artificielle et de la gestion des données à Google22.
La chaîne de valeur va donc se trouver progressivement réorientée en faveur des plateformes de services d’usage de véhicules. À titre d’illustration, citons les partenariats noués récemment entre Google et Fiat, Uber avec Ford, Daimler et Volvo, Lyft (concurrent d’Uber aux États-Unis) et General Motors… Google a également récemment révélé (mai 2017) l’existence d’un partenariat avec Lyft, la deuxième plate-forme américaine de voitures avec chauffeur (VTC). Cette association se positionne en concurrent direct d’Uber alors même qu’Uber est le plus gros « ticket » du fond d’investissement de Google.
Un certain nombre de constructeurs cherchent à adapter leur modèle économique en passant de la « vente pure de voitures » à la « vente de mobilité ». Carlos Ghosn l’a très bien compris en annonçant dès 2014 : « Nous ne voulons pas juste devenir des fournisseurs de carrosserie »23. Le risque est de perdre davantage encore de la valeur ajoutée quand on sait déjà que plus de 80 % de cette valeur ajoutée est déjà passée dans les mains des équipementiers.
Auparavant, il faut dire que le moteur à combustion constituait l’identité du constructeur et s’imposait indirectement comme une barrière à l’entrée. Aujourd’hui, au travers du véhicule électrique, les équipementiers ont réussi à récupérer une partie des activités jusqu’ici dévolues aux constructeurs. Il est possible que cette tendance s’intensifie avec les technologies du véhicule autonome, particulièrement si les constructeurs prennent du retard.
Une répercussion au-delà des transports
Les grandes entreprises du numérique souhaitent en fait aller bien plus loin que le « simple » déploiement du véhicule autonome. Certaines veulent révolutionner l’organisation des villes qui est amenée à être repensée du fait de l’avènement du véhicule autonome et du développement d’un écosystème centré autour de l’intelligence artificielle.
L’entreprise Sidewalk Labs s’est, à ce titre, associée avec le département américain des Transports pour proposer une plateforme globale de la gestion de la mobilité aux villes. À votre avis, qui se cache une fois de plus derrière cette société ?… GOOGLE ! Le géant du Web développe en effet son logiciel Flow qui s’articulera autour de trois aspects : le véhicule autonome, la mobilité partagée et la gestion des données de la ville. La première ville en test est Colombus dans l’Ohio. L’objectif final proposé par Google est le « bonheur de l’usager » qui pourra profiter d’une optimisation des flux pour un coût moins élevé. Pour cela, Google compte agréger des données provenant de multiples sources : utilisateurs de Google Maps et Waze, bornes wifi publiques, parcmètres connectés mais également données provenant de ses GoogleCar sillonnant la ville et pourquoi pas à terme de tous les véhicules autonomes possédant un système d’exploitation estampillé Google. Si les fonctionnalités finales restent encore à préciser, les usagers pourront bénéficier d’un trajet optimisé intégrant toutes les nouvelles formes de mobilité : bus, tramway, VTC, covoiturage, vélo en libre-service… Le logiciel pourra aussi vous indiquer les places de stationnement libres dans la ville ou vous mettre en relation avec un particulier dont le garage est disponible. Au-delà du transport, Sidewalk Labs veut devenir le nouveau « conseiller » des villes. Grâce à ses capteurs, la société sera capable de collecter des données sur la qualité de l’air, les prévisions météorologiques et même sur les modèles de déplacements des piétons pour, à terme, réorganiser la ville, ses commerces et la gestion du temps.
L’enjeu majeur pour les territoires est donc l’utilisation des potentialités du véhicule autonome pour repenser ou adapter l’offre de mobilité alternative à la voiture personnelle. Le positionnement de Google est intéressant : le géant de Mountain View a décidé de ne pas s’attaquer directement à la fabrication de voitures autonomes mais bien à l’utilisation de ses services par les usagers et les villes. Google veut être la plateforme globale de gestion des données (et par conséquent les posséder) pour optimiser les services pour ses usagers. Ce positionnement n’est pas neutre et peut à terme fragiliser le modèle économique des opérateurs de transport. Il est nécessaire pour les villes d’anticiper cette révolution de la mobilité et de la ville afin de ne pas laisser émerger un monopole dans la gestion des données. Une première idée serait par exemple de favoriser l’open-data pour encourager les opportunités locales et la diversité des acteurs.
Avantages et limites des constructeurs français
Laissons de côté la ville pour remonter en voiture ! L’enjeu pour les constructeurs traditionnels est de maintenir leur rang face à tous ces nouveaux acteurs du numérique. Un de leurs principaux atouts sur lequel ils pourront compter est leur expérience en matière de sécurité et de fiabilité. La sûreté de fonctionnement est principalement liée à la performance des capteurs de perception et du hardware, domaine dans lequel les géants du numérique n’ont que peu d’expérience.
Positionnements stratégiques des constructeurs
Comparons le positionnement stratégique de nos constructeurs français dans la chaîne de valeur par rapport à leurs homologues étrangers.
Tesla, qui part d’une feuille blanche et n’est pas un constructeur traditionnel, cherche à faire le maximum en interne, en particulier toute la partie logicielle. L’équipe software de Tesla a seulement été créée en 2013 et rassemble au total une cinquantaine d’ingénieurs. Ils se fournissent auprès d’équipementiers, dont Valeo, pour quelques briques hardware (radar, capteur ultrason, puce, caméra). Les constructeurs allemands fonctionnent de la même manière, à la différence près qu’ils ont identifié des blocs technologiques partageables et se font concurrence sur le reste. Un consortium de constructeurs automobiles allemands, réunissant Daimler (maison mère de Mercedes-Benz), BMW et Audi (groupe Volkswagen), a en effet racheté en 2015 la filiale de cartographie Here de Nokia pour 2,8 milliards d’euros. À l’opposé, Fiat laisse quasiment toute la valeur ajoutée à Google.
Où se situent Renault et PSA sur cette droite ? Leur place est ambiguë, ils veulent faire le maximum en interne. Renault a racheté la R & D d’Intel France (comportant 400 ingénieurs spécialistes des logiciels embarqués) et compte s’appuyer sur les avancées de Nissan. De son côté, PSA espère prochainement pouvoir compter sur Opel. Le constructeur prévoit également de dépenser plusieurs dizaines de millions d’euros sur 3 ans pour refonder l’architecture électronique de ses voitures. Ainsi, ils se renforcent dans le domaine en créant des plateaux projets de centaines de personnes (PSA à Vélizy et Renault sur le plateau de Saclay près de l’IRT System X). Malgré tout, ces investissements semblent modérés par rapport à ceux de leurs concurrents. On peut craindre qu’à terme cela pose problème pour suivre le rythme des déploiements de ces nouvelles fonctions. S’ils accumulent trop de retard, ils pourraient alors se voir contraints de se fournir davantage auprès d’équipementiers souhaitant remonter la chaîne de valeur. Cela les obligerait à concéder plus de valeur ajoutée, ce qui fragiliserait leur modèle économique. Bien entendu, les équipementiers ne vont pas proposer des voitures autonomes complètes sur étagère et remonter toute la chaîne de valeur. Néanmoins, plus le point de contact entre constructeurs et équipementiers sera haut dans cette chaîne, plus la création de valeur qui restera aux constructeurs sera faible.
Certains équipementiers comme Bosch ne souhaitent en effet pas s’arrêter au niveau des composants et des couches de logiciel intermédiaires. Mercedes-Benz et Bosch (1er équipementier automobile mondial) ont annoncé au printemps 2017 une alliance dans le développement de taxis autonomes avec une mise sur le marché attendue pour le début de la prochaine décennie. Bien que les termes de l’accord ne soient pas connus, Bosch veut ainsi ne pas se limiter aux capteurs (avec de l’intelligence embarquée).
Vers des fournisseurs de solutions de mobilité ?
PSA passe à l’offensive dans l’établissement de partenariats avec des entreprises spécialisées dans la conduite autonome. En mai 2017, le constructeur français a annoncé un partenariat avec la start-up américaine nuTonomy qui fait des essais de robot-taxi à Singapour (avec objectif de mise sur le marché en 2018). Ils sont en pure autonomie (niveau 5) avec possibilité de reprise en main à distance par un opérateur. nuTonomy est la première entreprise au monde (coiffant Uber sur le poteau) à avoir réalisé des essais de robots-taxis en milieu urbain en conditions réelles. Et cocorico… la voiture française électrique Zoé de Renault (aux côtés de la Mitsubishi i-MiEV) faisait partie des véhicules testés. nuTonomy va s’occuper de la partie autonomie (logiciel de conduite autonome et système de capteurs) alors que PSA va fournir des Peugeot 3008 personnalisées. PSA pourra également apporter à terme sa compétence dans l’industrialisation des véhicules utilisant les technologies de nuTonomy, la capacité à garantir leur sûreté de fonctionnement et la création d’une interface homme-machine la plus intuitive possible. Bien que ce partenariat donne un véritable coup d’accélérateur à la stratégie de PSA à court terme, il sera important de garder un œil sur le partage de la valeur ajoutée entre PSA et nuTonomy.
Par conséquent, l’entrée d’entreprises du numérique dans l’industrie automobile pousse les constructeurs à une réflexion sur leur modèle économique. Certains font l’analyse que, pour survivre et préserver leurs marges, ils n’auront d’autre choix que d’évoluer en fournisseurs de solutions de mobilité. Sur ce plan, les constructeurs français semblent anticiper le virage. PSA développe sa marque de mobilité Free2Move qui permet pour le moment d’identifier tous les véhicules en autopartage situés à proximité de l’utilisateur en un seul clic sur son smartphone. De façon plus globale, Free2Move doit être à terme la plateforme unique de PSA satisfaisant les différents besoins de déplacement de ses clients particuliers et professionnels (services d’autopartage, de gestion de flotte et de location longue durée). Renault investit également dans les nouvelles mobilités. Dès le printemps 2016, l’alliance Renault-Nissan avait inauguré Renault Mobility, un service de location de véhicules en libre-service en piochant dans sa gamme variée de véhicules. À l’origine du programme d’open innovation CityMakers, Renault s’est associé avec l’accélérateur de projets innovants Numa pour créer un écosystème autour de la mobilité urbaine rassemblant des start-up, des experts, ainsi que des acteurs privés (AXA, Nissan, RCI Bank and Services) et publics (Mairie de Paris).
Au-delà de la conception et la production de véhicules, les constructeurs français avancent leurs pions dans la fourniture de services de mobilité en expérimentant des solutions visant à accélérer la transition vers une mobilité urbaine flexible et durable. Les usagers gardent une confiance importante dans les marques des constructeurs (dont Renault et PSA en France) qui peuvent trouver le bon positionnement pour proposer des solutions de mobilité.
Écueils typiquement français à éviter
Face à ce constat, avant de nous intéresser aux leviers d’action pour favoriser le développement du véhicule autonome, nous pensons qu’il y a un certain nombre d’opérations à ne surtout pas faire :
Faire du lobbying en ordre dispersé
Les acteurs industriels doivent se mettre d’accord sur la base de la technologie et sur ce qui est partageable. L’exemple de la cartographie Here rachetée par un consortium de constructeurs allemands est aujourd’hui impensable en France. Aligner la position de l’État (qui va négocier les réglementations au niveau européen à Bruxelles et au niveau mondial à Genève) sur celle de ses industriels permettra d’éviter de revivre le fiasco des bornes de recharge électriques.
Encourager le pessimisme médiatique
Les médias ont un rôle à jouer dans la diffusion de l’innovation en mettant en avant les bienfaits du véhicule autonome (sécurité, confort, mobilité accrue, gains de productivité) et ne se limitant pas aux côtés négatifs (suppression et transformation des emplois). Cela favorisera l’acceptabilité sociale des populations qui pourront devenir source de propositions pour repenser la mobilité de demain.
Restreindre le sujet au fameux dilemme du tramway
« Vous êtes au volant de votre voiture et soudainement un groupe de 5 piétons traverse. Que faites-vous ? Donnez-vous un coup de volant pour les éviter, quitte à vous fracasser contre un mur et à mourir, ou les percutez-vous pour épargner votre vie ? »
Le dilemme du tramway est une expérience de pensée utilisée en sciences cognitives qui a été décrite pour la première fois par la philosophe britannique Philippa Foot en 1967. Bien entendu, à cette époque-là, il ne concernait pas les véhicules autonomes mais soulevait déjà une question à la croisée de l’éthique et de la psychologie : pour le bien du plus grand nombre, est-il « acceptable » de sacrifier une personne ? Le développement du véhicule autonome a remis en lumière ce dilemme.
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le dilemme du tramway n’est aujourd’hui pas un sujet pour l’industrie. Grâce à ces capteurs performants, un véhicule autonome réagit beaucoup plus vite qu’un humain et actionnera immédiatement le freinage d’urgence. Un humain en bonne condition met 600 millisecondes pour réagir alors qu’un système autonome peut réagir en 30-40 millisecondes. On peut penser que dans les autres cas où même le véhicule autonome n’aura le temps de réagir – disons-le cas extrêmement rares avec une fréquence quasi-nulle – le véhicule appliquera une règle que le régulateur aura choisie.
Néanmoins, puisque ce sujet constitue – à juste titre – une crispation de la population, il reste crucial de le traiter dans sa partie communication vis-à-vis du grand public afin qu’il ne constitue pas un frein au déploiement des fonctions d’autonomie.
Attendre de dialoguer avec les professions menacées
On comprend bien pourquoi la thématique est anxiogène pour les politiques. La guerre entre les taxis et Uber a marqué les esprits. Seul Emmanuel Macron s’est quelque peu emparé du sujet lorsqu’il était ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique. Il faut pourtant reconnaître que le déploiement des robots-taxis va aussi bien menacer les emplois des chauffeurs de taxi que ceux des VTC. On estime à 60 000 le nombre de chauffeurs de taxi en France et 25 000 le nombre de chauffeurs de VTC. Les politiques préfèrent attendre plutôt que de risquer de s’emparer du sujet.
Leviers d’actions pour l’État
Vous l’avez compris, nous pensons que l’État a un rôle important à jouer dans le développement du véhicule autonome. Son rôle n’est pas de se substituer aux acteurs privés mais de favoriser les conditions d’un déploiement harmonieux d’une nouvelle mobilité. La bonne approche constituerait de se demander « quel va être le paysage de demain ? » puis de faire en sorte que cela puisse représenter un marché sur lequel les industriels français seront présents et de s’assurer que l’usager français bénéficiera des avancées de cette nouvelle mobilité. Plus que des aides financières directes, l’État doit définir une stratégie globale aboutissant à une feuille de route ambitieuse.
À titre de comparaison, la Chine s’est réellement emparée du sujet il y a quelques années, et a publié au mois de novembre 2016 une roadmap du véhicule autonome, prévoyant une mise sur le marché de véhicules tout autonome (ou quasiment) pour 2021. Le plan de développement va jusqu’à 2030. Certaines formes d’automatisation devront être obligatoires entre 2026 et 2030. La feuille de route contient également des objectifs chiffrés qui permettent de fixer un cap économique stable pour les industriels et les investisseurs : produire entre 10 et 20 % de véhicules très autonomes en 2025 et 10 % entièrement autonomes en 2030.
Voici quelques propositions concrètes que nous pensons applicables et qui permettraient de favoriser l’écosystème du véhicule autonome :
1. Structurer et coordonner la stratégie de l’État par la désignation d’un chef de file en matière de transport routier intelligent
2. Simplifier le cadre des expérimentations et favoriser des tests à grande échelle en conditions réelles
3. Prévoir un appel thématique sur le véhicule autonome (au moins 100 M €) pour le PIA 3
4. Encourager les collectivités locales à avoir une politique de mobilité innovante en repensant le système de transport local
5. Anticiper et mettre en place un dialogue avec les professions menacées
6. Définir les intérêts de la France au niveau de la réglementation européenne pour les imposer dans les négociations
7. Travailler ensemble sur la question de l’homologation des véhicules autonomes
Rentrons en détail dans chacune des propositions.
1. Structurer et coordonner la stratégie de l’État par la désignation d’un chef de file en matière de transport routier intelligent
Les acteurs industriels sont unanimes sur le manque d’impulsion politique. L’État doit au contraire donner envie aux industriels de s’appuyer davantage sur la France.
Nous identifions 3 missions principales.
Faciliter le cadre des expérimentations
L’État doit être ouvert et pragmatique afin de ne pas freiner le développement d’une innovation que nous pensons inéluctable. Le véhicule autonome faisant appel à des solutions de machine learning et d’intelligence artificielle, il est nécessaire de multiplier les expérimentations pour « entraîner la machine » (learning by doing).
Proposer un cadre réglementaire volontariste
La réglementation n’évolue pas aussi vite que la technologie. Il faut au moins 5 ans pour écrire un texte réglementaire européen qui devient obsolète dès lors qu’il devient applicable. Il n’est plus possible de faire de la réglementation « par palier », c’est-à-dire que chaque nouvelle fonction d’autonomie est autorisée l’une à la suite de l’autre. L’approche consisterait plutôt à réglementer à long terme, mais il est aujourd’hui difficile de savoir exactement à quoi ressemblera le véhicule autonome dans 10 ans. Le juste milieu serait de se rapprocher de l’approche anglo-saxonne, en édictant un guide de bonnes pratiques comportant des règles cadres qui soient plus générales. En concertation avec les acteurs industriels, l’État a un rôle primordial à jouer dans l’homologation des véhicules.
Investir dans des domaines prioritaires
L’État doit s’appuyer sur la PFA (Plateforme de Filière Automobile) qui est au contact de l’ensemble des acteurs privés. C’est à elle que revient la tâche d’identifier les lacunes dans l’écosystème, notamment dans le tissu des PME qui accompagnent constructeurs et équipementiers.
Il nous paraît indispensable de désigner un chef de file en matière de transport routier intelligent au sein de l’État pour coordonner la stratégie. Ce chef de file doit être au contact de tous les acteurs, industriels, partenaires sociaux, collectivités locales, usagers, et doit être à même de prendre tous les aspects du sujet en compte. Bien entendu, nous ne recommandons pas une politique industrielle, à l’instar de celles qui avaient cours dans les années soixante-dix où l’État est dans une logique planificatrice et donne un plan d’action aux industriels. Au contraire, d’un point de vue technologique, l’approche retenue doit être celle du bottom-up. Au sein de la PFA, les acteurs se concertent, se coordonnent et se mettent d’accord avant de proposer un programme à l’État.
Néanmoins, il est important que la stratégie globale vienne de l’État, afin d’arbitrer entre toutes les difficultés du sujet : enjeux industriels, objectifs environnementaux, emplois menacés, acceptabilité sociale de la population, contrainte budgétaire pour n’en citer que quelques-unes. Le véhicule autonome n’est pas, par exemple, aujourd’hui nécessairement tout électrique. À l’exception de Tesla, qui n’a que des véhicules électriques dans sa gamme, la plupart des essais de véhicules particuliers autonomes se font avec des véhicules thermiques (éventuellement hybrides). Nous pensons que l’État a un intérêt à se concerter avec les acteurs industriels pour favoriser l’émergence d’une solution à la fois autonome et électrique. Des véhicules autonomes semblent pouvoir faciliter la gestion d’un parc de véhicules électriques mutualisés, notamment en optimisant la rotation des véhicules au niveau des bornes de recharge.
C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il est nécessaire que le coordinateur au volant du projet soit directement rattaché au Premier Ministre. Sa mission – clairement ciblée – doit être limitée dans la durée (maximum 3 ans), quitte à être renouvelée à son terme. À la différence d’un programme industriel classique comme le véhicule électrique, le développement du véhicule autonome va révolutionner la mobilité de demain et l’organisation des villes. L’État se doit d’être acteur de ce changement et anticiper afin que cette révolution profite au plus grand nombre. Cela justifie le rattachement du chef de file à Matignon. Il doit pouvoir représenter et engager le gouvernement auprès des industriels et de l’Union Européenne en lien avec le Secrétariat général des affaires européennes (SGAE). Il aura également un accès facilité à l’Administration, à savoir les 4 directions générales en charge du véhicule autonome et le CGI en charge des investissements du PIA.
2. Simplifier le cadre des expérimentations et favoriser des tests à grande échelle en conditions réelles
Les expérimentations sont aujourd’hui autorisées au cas par cas par dérogation après validation par 5 entités différentes (ministère des transports, ministère de l’intérieur, gestionnaire de la voirie, autorité de la police de la circulation, autorité organisatrice des transports). Un décret est en cours d’écriture pour créer un cadre spécifique pour le véhicule autonome et formaliser la procédure actuelle qui est aux frontières du juridiquement conforme. La procédure pour les expérimentations dure 4 mois en moyenne (3 mois pour l’instruction du dossier + 1 mois pour obtenir la plaque d’immatriculation). Compte tenu des temps d’innovation très courts dans le monde du véhicule autonome, nous estimons que ce délai reste élevé. Cela est d’autant plus vrai que certains pays voisins (Royaume-Uni et Pays-Bas entre autres) sont davantage permissifs avec des procédures beaucoup plus fluides. Valeo nous a par exemple fait part de ses difficultés pour faire rouler son véhicule autonome dans les rues de Paris, d’abord la nuit sur des parcours modérément complexes puis à des heures de circulation plus denses. L’objectif final est clair pour Valeo : tester sa voiture autonome sur la place de l’Étoile, réputée comme la plus difficile de la capitale. L’image ferait le tour du monde et renforcerait la place de leader mondial de l’équipementier français. Néanmoins, pour obtenir l’autorisation, Valeo a dû s’y prendre à plusieurs reprises et remonter jusqu’à l’Élysée. L’entreprise a dû fournir un plan de circulation extrêmement détaillé et le délai d’attente fut bien plus long.
Néanmoins, nous notons que la France s’est beaucoup améliorée sur le point des expérimentations. Hormis le délai d’attente, la France s’est dotée d’un cadre à la fois ouvert à tous les cas d’usage, responsabilisant pour les pétitionnaires et exigeant en termes de retour d’expérience. Entre 2015 et avril 2017, 27 expérimentations ont été autorisées avec 22 retours d’expérience reçus par l’administration (soit près de 100 000 kilomètres au total). Les expérimentations vont jouer par la suite un rôle primordial pour l’écriture de la réglementation européenne. Un pays qui aura autorisé un grand nombre d’expérimentations et qui par conséquent aura reçu de multiples retours d’expérience (difficultés techniques, situations critiques…) sera plus à même de peser dans les négociations européennes.
La France et l’Allemagne se sont par ailleurs associées pour créer une zone test transfrontalière. Cet itinéraire partagé de 70 kilomètres de long reliant les villes de Metz et Merzig permettra de s’assurer que les systèmes automatisés et connectés ne se cantonnent pas aux États nationaux et fonctionnent partout. Il est en effet important de renforcer la coopération franco-allemande afin d’être de taille suffisante pour concurrencer les géants américains et chinois dans une compétition qui se joue à l’échelle mondiale.
Il serait maintenant opportun de passer à la deuxième étape en favorisant des tests à grande échelle en conditions réelles. À ce titre, la France peut s’inspirer du projet suédois DriveMe24 qui consiste à faire tester 100 véhicules autonomes de Volvo (constructeur suédois) pendant un an par des particuliers et sans ingénieur à bord. DriveMe est un vaste projet collaboratif qui peut compter sur un important soutien financier d’un fond d’innovation et recherche stratégique sur les véhicules réunissant pouvoirs publics suédois et industrie automobile. Le constructeur suédois ne pourrait pas mener à bien son projet sans cette aide.
Les tests en conditions réelles vont permettre d’identifier comment des personnes lambda (a priori non expertes du véhicule autonome) vont réagir aux fonctions d’autonomie. Cela donnera également les premières réponses à une interrogation majeure du véhicule autonome, à savoir la cohabitation sur les routes entre véhicules autonomes et véhicules classiques. Beaucoup de questions restent en effet en suspens : faut-il créer des voies dédiées pour le véhicule autonome ? Doit-on identifier les véhicules autonomes pour qu’ils soient repérables par les autres usagers ?… Réaliser des tests à grande échelle en imposant aux usagers des retours d’expérience complets permettra de tirer les premières conclusions.
3. Prévoir un appel thématique sur le véhicule autonome (au moins 100 M €) pour le PIA 3
Un troisième Plan d’Investissements d’Avenir de 10 milliards d’euros va être lancé mais contrairement aux deux précédents, celui-ci ne sera pas sectorisé. Nous pensons qu’il est capital de réserver des enveloppes pour les sujets industriels prioritaires, dont le véhicule autonome fait partie. Certes, un capital de 100 millions d’euros n’est pas significatif face aux montants investis par d’autres pays, mais celui-ci n’a pas vocation à financer de la recherche fondamentale. Les fonds doivent être fléchés sur des sujets stratégiques où la France peut être leader. Concernant le véhicule autonome, nous pensons que les fonds devraient davantage soutenir des projets permettant de vérifier la sûreté de fonctionnement des véhicules autonomes. La base de scénarios à risques de Vedecom et la plateforme de simulation de SystemX sont attendus pour fin 2018. Par ailleurs, un constructeur nous a fait part de la difficulté à obtenir des fonds pour des projets de recherche très appliquée (bancs d’essais pour tester les véhicules autonomes dans les situations critiques) dont la mise en œuvre constitue pourtant une vraie rupture.
L’État doit également se porter en soutien des tests à grande échelle en conditions réelles que nous évoquions précédemment. Compte tenu du coût encore élevé des prototypes de véhicule autonome, ces expérimentations nécessitent un apport financier important. Néanmoins, elles présentent un immense intérêt à la fois pour l’État et les industriels. Hormis la Suède, aucun pays n’a effectué de tels essais qui permettraient de donner un véritable coup d’accélérateur aux constructeurs français.
4.Encourager les collectivités locales à avoir une politique de mobilité innovante en repensant le système de transport local
L’État doit effectuer un important travail d’aiguillon auprès des collectivités locales en les encourageant à définir une politique de mobilité ambitieuse et effectuer davantage d’expérimentations de solutions autonomes. Cela permet avant tout à la population de voir l’innovation et de l’associer à une amélioration, ce qui facilitera à terme l’acceptabilité sociale. Notons tout de même que, dans bien des cas, les collectivités locales sont en avance sur l’État. Ces territoires ayant déjà fait des démonstrations en ce domaine doivent alors pouvoir jouer le rôle de « pilotes » et passer du test au cas d’usage. Les premières navettes autonomes en exploitation sur sites publics sont attendues dès début 2018.
La France doit anticiper la révolution de la mobilité engendrée par l’émergence de nouvelles solutions autonomes. Elle possède de très bons atouts dans ce domaine :
- la France a été pionnière sur la mobilité partagée (Autolib, Blablacar) ;
- 2 start-up françaises (Navya, EasyMile) sont très bien positionnées sur le segment des navettes autonomes ;
- la France possède plusieurs opérateurs de transport qui ont une expertise dans la supervision de flottes.
Un constructeur nous a cité l’exemple de la ville de Rambouillet. Il s’agit du projet « Tornado » (à l’image du cheval de Zorro) piloté par Renault et la RATP. La ville se compose de multiples zones pavillonnaires dans lesquelles les habitants prennent leur véhicule tous les matins pour aller à la gare de Rambouillet, ce qui sature totalement le centre-ville. Des navettes autonomes et des robots-taxis sur un axe prédéfini sont des solutions innovantes qui amélioreraient directement le quotidien des Rambolitains et qui pourraient être mises en place dans un futur proche. Ce projet grandeur nature en zone peu dense constitue une excellente vitrine à la mobilité intelligente que peuvent mettre en place l’ensemble des territoires périurbains.
De façon plus générale, le développement du véhicule autonome amène à repenser en profondeur le système de transport. Cela consiste par exemple à remplacer les grands bus desservant les zones peu fréquentées par un ensemble de solutions plus souples (navette autonome, robot-taxi). Pour accoutumer les gens et les partenaires sociaux, les collectivités locales peuvent commencer par mettre en avant les nouvelles solutions de mobilité (VTC, covoiturage) en les subventionnant un peu lorsqu’elles répondent à un besoin. On assiste déjà dans plusieurs villes américaines à la réorientation de certaines aides publiques vers les nouvelles formes de transport plutôt que vers les transports publics. Une ville du New Jersey a décidé de subventionner les trajets Uber desservant la gare plutôt que de construire un nouveau parking autour de la gare déjà saturée. Cela lui coûte 167 000 dollars par an au lieu de 10 millions pour la construction du nouveau parking.
De même, en Ile-de-France, pourquoi ne pas verser 30 centimes du kilomètre à un particulier qui transporterait un titulaire de la carte Navigo dans les secteurs les moins denses et à des horaires faiblement fréquentés ? Les bus de grande couronne représentent pour le STIF (Syndicat des transports d’Île-de-France) un coût moyen de 50 centimes par voyageur et par kilomètre, mais certains représentent un coût dépassant les 2 euros. Il est important que les opérateurs de transport (même public en France) commencent à réfléchir à imaginer un mode de rémunération pour les services de mobilité qui répondent aux véritables besoins. Le Grand Paris représente une opportunité remarquable. Les solutions autonomes peuvent prendre toute leur place pour l’organisation de la desserte en bout de lignes (premier/dernier km).
Parallèlement, il est nécessaire d’avoir un alignement des pouvoirs locaux. La gouvernance des transports reste assez complexe avec un certain nombre de gestionnaires routiers et d’autorités organisatrices différentes. On assiste aujourd’hui à l’apparition d’un nouveau type de régulateur – les villes – qui peut prendre des décisions fortes, en particulier sur les questions environnementales. Il est important d’encourager les villes pionnières qui souhaitent bénéficier des potentialités du véhicule autonome pour repenser et améliorer l’offre de mobilité. Cela sera du ressort du chef de file que nous appelons de nos vœux dans la première recommandation : accélérer le développement de ces innovations pour tous les territoires.
Ces exemples peuvent paraître éloignés du véhicule autonome, mais nous pensons qu’ils pourraient constituer une sorte de préfiguration de la « nouvelle » mobilité. Un tel système de transport flexible permettra de réconcilier la ville et la voiture en établissant un équilibre judicieux entre le transport de masse et le transport de proximité.
5. Anticiper et mettre en place un dialogue avec les professions menacées
On comprend aisément l’impact de la transformation à venir sur l’emploi. À ce titre, la récente guerre entre Uber et les taxis pourrait préfigurer d’autres conflits et il est important que les politiques puissent jouer dès maintenant un rôle de démineurs. En effet, s’il n’est pas possible aujourd’hui de chiffrer précisément le solde entre suppression d’emplois et création d’emplois, il est indéniable qu’un certain nombre d’emplois vont disparaître ou être profondément transformés. Nous identifions trois catégories principalement touchées :
- les chauffeurs de taxi et de VTC ;
- les chauffeurs de camion ;
- les chauffeurs de bus.
L’État a la responsabilité d’anticiper les conséquences sociales d’une innovation que nous pensons inéluctable en réfléchissant à des solutions de requalification et de formation. Cette innovation va s’imposer progressivement sur le marché. Ainsi, l’État a quelques années pour prévoir les changements et lancer des concertations avec les partenaires sociaux de chaque métier susceptible d’être menacé. Cela fera partie de la mission du chef de file en matière de transport routier intelligent. Les politiques, les partenaires sociaux et les fédérations professionnelles doivent s’emparer du sujet tant qu’il est encore temps plutôt que d’attendre et laisser les situations délicates à leurs successeurs. C’est une des raisons pour lesquelles nous pensons important de désigner un coordinateur au sein de l’État directement rattaché au Premier Ministre.
6. Définir les intérêts de la France au niveau de la réglementation européenne pour les promouvoir dans les négociations
La position de l’État français doit être alignée avec celle de ses industriels pour éviter toute incohérence lors de négociations européennes et ne pas revivre le fiasco des bornes de recharge pour véhicules électriques.
Cela est notamment vrai pour l’interprétation de la réglementation. La Convention de Vienne est un traité international adopté en 1968 harmonisant la réglementation routière entre les parties contractantes. Celle-ci a été amendée le 23 mars 2016 pour autoriser des systèmes autonomes à condition qu’ils soient conformes aux règlements des Nations Unies sur les véhicules et qu’ils puissent être neutralisés ou désactivés par le conducteur. Cette modification juridique est interprétée de trois façons différentes selon les directions de réglementation de chaque pays :
- pour des pays comme la France (DGEC), elle ne permet pas le déploiement du véhicule autonome ;
- pour des pays comme le Royaume-Uni et les Pays-Bas, on peut l’interpréter souplement pour autoriser le déploiement de véhicules de niveau 3 et 4 ;
- pour des pays comme l’Allemagne, elle permet le déploiement de véhicules de niveau 5 sans nouvel amendement.
Les industriels français souhaitent avant tout que cette incertitude soit levée. Renault et PSA étaient d’accord entre eux mais l’État a défendu une autre orientation. Pour cela, la DGEC doit se concerter avec les industriels pour défendre une position unique. L’objectif est d’uniformiser l’interprétation de cet amendement au sein de l’Union Européenne. Si la France maintient son avis sur la question, cela pourrait entraver le déploiement des fonctions d’autonomie et ralentir davantage les constructeurs.
Le lobbying français n’est aujourd’hui pas très efficace comparé à celui des Allemands. La Plateforme de la Filière Automobile (PFA) française n’existe que depuis 200925 alors que son équivalent – la VA, Union de l’industrie automobile – est né il y a plus de 100 ans. La situation est quelque peu en train d’évoluer. La PFA a été pendant longtemps focalisée sur le sujet « 2L/100 » et ne s’est emparée que récemment du sujet véhicule autonome. Elle s’est également dotée d’une division R & D depuis 2015. Les industriels, constructeurs entre autres, acceptent davantage de partager sur la base de la technologie, ce qui facilite la coordination de la stratégie.
Dans l’automobile, 80 % des normes européennes émanent aujourd’hui des Allemands – parfois en lien avec la France, parfois sans. Les constructeurs allemands ont une stratégie efficace vis-à-vis de la Commission Européenne. Ils développent des technologies plus performantes, les accrochent à un intérêt sociétal et réussissent à convaincre la Commission de les transformer en standard. Leur temps d’avance par rapport aux autres constructeurs européens leur permet d’avoir un écosystème déjà en place et des coûts moins élevés. L’ABS (de l’allemand Antiblockiersystem) en est un exemple concret. Néanmoins, depuis le « dieselgate », les Allemands n’ont plus forcément le vent en poupe à la Commission Européenne. Les Français pourraient profiter de cette occasion pour reprendre la main sur la proposition de standards.
Nous notons tout de même que de nombreux efforts sont en cours. La France élabore actuellement un projet de stratégie nationale qui vise à définir une position commune sur la réglementation et l’homologation des véhicules. Le document, auquel nous avons pu avoir accès, répond plutôt bien à l’objectif initial. La France doit capitaliser sur les percées technologiques dont elle est à l’origine pour être capable de proposer des standards à la Commission Européenne. L’exemple de la réglementation et de l’homologation des navettes autonomes est très concret : la France est en avance technologique notamment grâce à ses start-up Navya et EasyMile ; il n’y a aujourd’hui pas de règles communes à l’Union Européenne sur les navettes autonomes. La France doit profiter de cette opportunité pour proposer sa propre réglementation à l’Europe d’autant plus que les premières navettes autonomes en exploitation vont arriver très prochainement.
7. Travailler ensemble sur la question de l’homologation des véhicules autonomes
L’homologation est un enjeu énorme, y compris d’un point de vue technique. La France pourrait prendre un avantage compétitif considérable en investissant dessus. Le système de la voiture autonome sera basé sur de l’intelligence artificielle, notamment le deep learning. Cette logique est très difficile à « qualifier » en sécurité. Ne pouvant pas tester le véhicule de façon déterministe en essayant tous les cas possibles, l’homologation sera une combinaison de kilomètres sur route en situation réelle et sur simulateur ainsi qu’éventuellement d’essais sur piste pour les situations critiques.
La France a donc un intérêt à renforcer le développement de la base de situations critiques (projet Moove de Vedecom) ainsi que de la plateforme de simulation (projet SVA de System X) qui permettra de tester les différentes situations. Les constructeurs ont accepté d’unir leurs efforts en créant cette base de façon commune.
>Les premiers pays à expliquer clairement – de manière réaliste et sûre – les règles permettant de « lâcher » des véhicules autonomes sur la route auront un vrai avantage. À ce titre, la France dispose assurément de grands atouts pour réussir : un vivier de jeunes talents en développement logiciel, une base scientifique de renommée mondiale en IA, une maîtrise des systèmes complexes et sûrs (aéronautique, spatial). De telles compétences, à un coût compétitif, sont très recherchées, y compris en Californie. Les autres pays (hormis peut-être les États-Unis) ne sont pas très avancés sur ce sujet. La France pourrait profiter de cette opportunité pour donner une nouvelle force à son industrie automobile.
- 22 – Rapport parlementaire sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale, présidé par Sophie Rohfritsch et dont la rapporteure est Delphine Batho, octobre 2016
- 23 – http://www.usine-digitale.fr/article/nous-ne-voulons-pas-devenir-de-simples-fournisseurs-de-carrosserie-pour-google-previent-carlos-ghosn.N275069, Carlos Ghosn, 17/07/2014
- 24 – DriveMe project, http://www.volvocars.com/intl/about/our-innovation-brands/intellisafe/autonomous-driving/drive-me
- 25 – Le Comité des Constructeurs Français d’Automobiles (CCFA), anciennement Chambre syndicale des constructeurs automobiles, est né il y a plus de 100 ans. Cependant, ce syndicat professionnel des constructeurs d’automobiles en France ne compte que 5 adhérents : Renault et Alpine (groupe Renault), Peugeot et Citroën (groupe PSA) et Renault Trucks (groupe Volvo)
Conclusion
Le véhicule autonome est donc bel et bien en train d’arriver sur nos routes. Les évolutions que son développement va entraîner sont tout juste perceptibles. Toute la mobilité dans son ensemble s’en trouvera révolutionnée : la manière de se déplacer, le fait de posséder un véhicule, la nouvelle vie s’ouvrant lors de nos trajets… Nous pensons que cette innovation inéluctable sera structurante pour le futur quotidien des usagers. L’émergence du véhicule autonome est à ce sens comparable au développement de la voiture tout court.
Cette révolution est bien plus globale que nous pouvons le penser. L’ensemble de l’industrie va en sortir transformée. Les constructeurs vont devoir évoluer en fournisseurs de solutions de mobilité pour survivre et garder leurs marges. Les équipementiers cherchent à remonter la chaîne de valeur et s’approprier le maximum de valeur ajoutée tout en évitant d’être en première ligne face aux consommateurs finaux. Plus le point de contact sera haut entre ces deux acteurs, plus les constructeurs seront obligés d’opérer un virage stratégique. Les assureurs, les sociétés de transport, les collectivités locales vont également épouser le virage.
Face à ce constat, nous nous devons d’agir pour être acteurs de cette révolution de la mobilité. Nous ne pouvons nous contenter d’attendre le résultat de cette course et d’en subir les changements. La grille de départ ne ressemble pourtant en rien à celle des précédentes innovations automobiles du fait de l’entrée fracassante d’acteurs du numérique. Ces géants mondiaux aux capacités financières hors normes ont démarré sur les chapeaux de roues. La France a eu pour sa part un retard certain à l’allumage : l’État a patiné pour s’organiser efficacement, les constructeurs ont été lents au démarrage. Seuls les équipementiers français ont réussi à accrocher le peloton de tête.
Relativisons ! La course n’est pas encore terminée, elle ne fait que commencer. La France possède un certain nombre d’atouts pour replacer son industrie automobile en bonne position. C’est donc maintenant qu’il faut mettre le pied au plancher en accompagnant nos industriels. Les industriels français l’ont bien compris et sont désormais en train de rouler plein gaz. Bien que l’État ne constitue pas la pièce motrice de l’innovation, il doit favoriser les conditions d’un déploiement harmonieux d’une nouvelle mobilité. Nous appelons de nos vœux un coordinateur au volant de ce projet aux aspects transverses et multidimensionnels. Repenser le système de transport local en incluant les potentialités du véhicule autonome : voilà ce que doit être l’objectif des collectivités locales à court terme. Travailler de concert pour régler les dernières difficultés techniques : voilà la feuille de route des industriels.
Un grand nombre de questions restent bien entendu en suspens. Nous avons voulu les faire ressortir dans cet ouvrage. Bien que nous considérons que le rôle de la puissance publique est capital, nous pensons que les entreprises sont le moteur de l’innovation. Restons agiles et flexibles pour ne pas rater la révolution de la mobilité qui s’ouvre devant nous !
Annexe 1 – Organisation du plan NFI
Le plan s’organise autour d’un comité de pilotage mensuel qui est constitué des coordinateurs des groupes de travail « usage » et « technologiques », créés pour structurer le plan, ainsi que des représentants des pôles de compétitivité.
Les cas d’usage prioritaire visés sont :
- la conduite autonome de véhicule particulier en situation d’embouteillage, sur autoroute ou sur trajet régulier, le voiturier automatique ;
- les dessertes fines de territoire délimité, en zone urbaine ou péri- urbaine, le rabattement-diffusion à partir de points d’arrêt pour des systèmes de transport public ;
- les bennes à ordure ménagère, le platooning, la livraison du dernier kilomètre.
La responsabilité des groupes « usage » a été confiée aux industriels concernés du domaine :
- véhicule autonome particulier : PFA (principalement Renault, PSA, Valeo, Michelin, SIA) ;
- véhicule autonome industriel et convoi de véhicules : Renault Trucks ;
- système public de transport autonome : RATP.
La responsabilité des groupes « technologiques » a été confiée aux organismes de recherche concernés du domaine :
- intelligence embarquée (perception, localisation et cartographie, algorithmes de décision et commande véhicule, IHMs et facteur humain, connectivité) : ITE VEDECOM ;
- sécurité et sûreté de fonctionnement : IRT SystemX.
Bibliographie
La voiture sans chauffeur, bientôt une réalité, La Note d’analyse n°47, France Stratégie, avril 2016
Rapport parlementaire sur l’offre automobile française dans une approche industrielle, énergétique et fiscale, présidé par Sophie Rohfritsch et dont la rapporteure est Delphine Batho, octobre 2016
Quelle place pour la voiture demain ? Institut Montaigne, juin 2017
Object Recognition from Local Scale-Invariant Features, David G. Lowe, 1999
Back to the Future : Autonomous Driving in 1995, Roboticstrends
Préparer la France aux défis de demain, Commissariat Général à l’Investissement, février 2017
Self-Driving Vehicles, Robo-Taxis, and the Urban Mobility Revolution, The Boston Consulting Group, juillet 2016
Véhicule autonome : accompagner la transition, Institut Vedecom, note d’analyse, septembre 2016
L’assurance de demain, Côme Berbain & Elisa Salamanca, Juin 2015
Référé de la Cour des Comptes, ref. S 2016-0109, l’action de l’État pour le développement des transports intelligents, février 2016
ITF Lisbon Study : Urban Mobility Upgrade, how shared self-driving cars could change city traffic, 2015
The Pathway to Driverless Cars : A Code Practice for testing. Moving Britain Ahead, Department for Transport, Juillet 2015
Véhicule à délégation de conduite et politiques de transports, Direction générales des infrastructures, des transports, et de la mer, synthèse bibliographique, novembre 2015
Convention de Vienne : https ://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19680244/201609190000/0.741.10.pdf
Etude NHTSA 2015 : https ://crashstats.nhtsa.dot.gov/Api/Public/ViewPublication/812115
L’assurance des risques cyber, Gaspard Férey, Nicolas Grorod & Simon Leguil, Juillet 2017
Alexandre Houlé et Hugo Levy-Heidmann, Véhicules autonomes : ne ratons pas la révolution !, Paris, Presses des Mines, Les Docs de La Fabrique, 2018.
ISBN : 978-2-35671-496-1
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