Que deviennent les salariés qui perdent leur emploi ?
Un enjeu à l’heure de la mondialisation
Les annonces de fermetures et de rachats d’entreprises ravivent régulièrement le débat, déjà très ancien, sur les bénéfices et les pertes liés à la mondialisation. Même si l’existence de gains globaux à l’ouverture commerciale est bien établie, il est également admis depuis longtemps que celle-ci engendre nécessairement des pertes pour une partie de la population. Une manière d’aborder cette question est d’étudier le parcours des salariés licenciés pour des raisons économiques. En suivant plusieurs centaines de milliers de salariés entre 1998 et 2010, cette synthèse évalue les chances de retour à l’emploi de ces travailleurs, les migrations d’un secteur d’activité à un autre, d’un métier à un autre, ou encore d’une région à une autre.
Eugénie Tenezakis et Philippe Frocrain
Résumé
Les fermetures d’entreprises suscitent des inquiétudes croissantes dans nos économies mondialisées, surtout lorsqu’elles concernent des secteurs et territoires offrant peu de perspectives de reconversion aux travailleurs licenciés. Cette étude examine le processus de retour à l’emploi de salariés français licenciés à cause de la fermeture d’un site de production, selon qu’ils proviennent d’un secteur exposé à la concurrence internationale – l’industrie manufacturière ainsi que plusieurs secteurs des services – ou au contraire d’un secteur qui en est abrité.
Contre toute attente, on voit que le secteur manufacturier présente un taux de licenciement plus faible que celui des services exposés et abrités, ces deux derniers secteurs affichant un taux de licenciement similaire. Les salariés de l’industrie manufacturière ont en revanche une probabilité plus faible de retrouver un emploi que les salariés des deux autres secteurs. Cette différence s’explique essentiellement par les caractéristiques sociodémographiques des travailleurs (âge, sexe, catégorie socio-professionnelle, ancienneté, etc.) mais il existe également un effet spécifique au secteur manufacturier. Une explication tient dans le dilemme qui s’impose souvent aux salariés des secteurs exposés, du fait de la concentration géographique de la production : il faut parfois choisir entre changer de région et changer d’activité, ce qui présente toujours un coût et freine par conséquent le retour à l’emploi. Nos résultats confirment cette analyse : les travailleurs de l’industrie manufacturière sont souvent amenés à changer d’activité et de métier pour retrouver un emploi. Si la mobilité inter-régionale est plutôt faible dans les trois secteurs, elle est légèrement plus élevée dans les deux secteurs exposés (services et industrie) lorsque les salariés restent dans la même activité.
Nous montrons également qu’un grand nombre de salariés licenciés du secteur manufacturier sont réemployés dans des emplois dits de « proximité », et qu’ils se placent ainsi dans une perspective moins favorable, en matière de sécurité de l’emploi et de niveau de qualification, que ceux qui restent dans l’industrie. Ces résultats viennent alimenter le débat sur la nécessité d’améliorer la mobilité du travail sur le marché français et de veiller à la création d’emplois dans le secteur manufacturier.
Introduction
Les conséquences du libre-échange sur l’emploi ont fait l’objet d’intenses débats lors des dernières élections présidentielles. Selon un sondage récent (Ipsos, 2017), seulement 26 % des Français voient la mondialisation comme une opportunité pour le pays, contre une moyenne de 42 % pour les personnes des 22 pays interrogés.
Ces craintes vis-à-vis de la mondialisation sont-elles fondées ? L’existence de gains à l’ouverture commerciale est bien établie par les économistes : elle est associée à la croissance économique, à l’augmentation de la productivité des firmes, ou encore à l’élargissement de l’éventail de produits accessibles aux consommateurs. Les travaux tentant de faire le lien entre emploi et commerce international sont en revanche moins concluants, en particulier parce qu’il est très difficile de dissocier les effets de la mondialisation de ce qui est dû aux caractéristiques propres de nos économies : le degré de flexibilité sur le marché du travail, l’efficacité du système scolaire et de formation professionnelle, la fiscalité, etc. (Gazaniol, 2013). Les chiffrages existants concluent globalement à un effet ténu du commerce international sur l’emploi1.
Quoi qu’il en soit, les conséquences de la mondialisation ne s’apprécient pas seulement sur la base du solde net entre emplois créés et emplois détruits, ni à l’aune du seul pouvoir d’achat moyen des ménages. Même quand la société gagne dans son ensemble, que ce soit en matière de valeur ajoutée et parfois aussi d’emplois nets créés, l’ouverture commerciale ne bénéficie pas à tous les travailleurs. Dit autrement, la mondialisation crée des gagnants et des perdants. Les économistes Stolper et Samuelson démontraient déjà en 1941 que les gains au commerce s’accompagnent d’une modification de la répartition des richesses au sein de l’économie. Concrètement, selon ces auteurs, cette redistribution au sein des pays développés se fait essentiellement en défaveur des travailleurs peu qualifiés et au bénéfice des travailleurs qualifiés.
La concurrence étrangère peut également affecter très différemment les travailleurs selon l’endroit où ils résident. Par exemple, la croissance des importations en provenance de Chine tend à augmenter le chômage localement dans les zones d’emploi spécialisées sur les mêmes segments (Autor et al. 2013, Malgouyres, 2016). Dans le même temps, certains bassins d’emplois spécialisés dans l’aéronautique, localisés principalement dans la région de Toulouse, tirent profit de cette ouverture puisqu’Airbus vend de nombreux avions à la Chine.
La mondialisation a donc des effets contrastés sur l’emploi, et les pertes peuvent être concentrées sur un petit nombre de territoires et d’individus, ce qui les rend très visibles2. Les fermetures d’usines exposées à la concurrence internationale, parfois pour motif de délocalisation, constituent l’avatar le plus médiatisé du versant sombre de l’ouverture commerciale (récemment : Whirlpool à Amiens, GM&S à La Souterraine, Tupperware à Joué-lès-Tours, la Seita à Riom, etc.).
D’un côté, le double processus de destruction et de création d’emplois est une caractéristique normale d’une économie dynamique. Tous les jours, dans tous les secteurs, des individus perdent leur emploi. Et quotidiennement, à peu près en nombre équivalent, des individus sont embauchés. D’un autre côté, ces fermetures suscitent des inquiétudes légitimes, quand l’entreprise représente une part substantielle de l’économie locale : GM&S, équipementier automobile, était par exemple le deuxième employeur privé du département de la Creuse. C’est encore plus vrai lorsqu’elles touchent des professions et territoires offrant peu de perspectives de reconversion.
- 1 – Voir par exemple Hoekman et Winters (2005), Newfarmer et Sztajeroska (2012), et Schwarzer (2015) pour des revues de la littérature empirique sur le sujet
- 2 – Les nouvelles théories du commerce international s’intéressent d’ailleurs de plus en plus aux effets hétérogènes du commerce international au niveau des entreprises, plutôt que des secteurs. Selon Helpman et al. (2017), le commerce est associé à une montée des inégalités de salaires entre des travailleurs de même niveau de qualification mais travaillant dans des firmes différentes.
Un taux de licenciement plus faible mais un retour à l’emploi plus difficile pour les travailleurs de l’industrie
Nous suivons une cohorte de plusieurs centaines de milliers de travailleurs sur la période 1998-20103. Nous connaissons les caractéristiques des individus (âge, sexe, profession, contrat de travail, rémunération, lieu de résidence, nombre de jours travaillés dans l’année, etc.) et de l’entreprise employeuse (secteur d’activité, effectif, localisation, etc.). La base de données ne précise pas la raison pour laquelle un individu cesse de travailler dans une entreprise ; mais nous identifions les salariés licenciés pour motif économique en repérant les individus ayant perdu leur emploi suite à la fermeture d’un site de production.
Nous divisons ensuite l’échantillon en deux groupes : un groupe de salariés des secteurs exposés à la concurrence internationale (22 % des effectifs) et un groupe de salariés du secteur abrité (78 %). Les emplois exposés sont ceux qui concourent à la production de biens et services échangeables par-delà les frontières et peuvent donc être concurrencés par des emplois situés dans d’autres pays : la quasi-totalité des travailleurs de l’industrie, les ingénieurs logiciel, les employés de centres d’appel, etc. Au sein du groupe des salariés exposés, nous distinguons également les travailleurs du secteur manufacturier (14 % de l’échantillon complet) et du secteur des services exposés (8 % de l’échantillon complet), dont les nombres d’emplois suivent des trajectoires opposées : alors que l’industrie manufacturière a perdu 755 000 emplois entre 1999 et 2013, les services exposés en ont créés 780 000 (Frocrain et Giraud, 2016). Par opposition, les emplois abrités (kinésithérapeutes, boulangers, instituteurs, toiletteurs, etc.) sont uniquement en concurrence avec des emplois localisés dans le même pays, voire dans la même ville. Ce sont ces emplois qui ont été créés en plus grand nombre sur la même période (2,37 millions).
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le taux de licenciement pour motif économique est plus élevé dans le secteur abrité que dans le secteur exposé (3,3 % contre 2,8 % en moyenne entre 1999 et 2009). Il y est aussi plus volatile, du fait de la part importante qu’y occupent les TPE. Plus surprenant encore, l’industrie manufacturière est la partie du secteur exposé où ce taux est le plus bas : 2,3 % en moyenne sur la période, contre 3,4 % pour le secteur des services exposés.
Il faut ensuite retenir que, en moyenne, seuls 53 % des travailleurs licenciés suite à la fermeture d’un site de production ont retrouvé un emploi dans les trois années suivant leur licenciement. Face à ce faible taux de retour à l’emploi, on comprend mieux les craintes associées aux fermetures d’entreprises. La France se place d’ailleurs à un rang assez modeste dans les comparaisons internationales sur ce critère : selon l’OCDE (2013), l’Allemagne, les États-Unis, le Danemark, la Finlande et la Suède font mieux, notre pays étant plutôt comparable au Portugal et au Royaume-Uni.
Ce chiffre moyen cache en fait de fortes différences entre les secteurs exposés (industrie et services exposés) ainsi qu’avec le secteur abrité. Trois ans après leur licenciement, 47 % des travailleurs provenant de l’industrie ont retrouvé un emploi, contre 54 % dans le secteur abrité, et 62 % dans les services exposés (Figure 1).
Figure 1. Taux de retour à l’emploi par secteur d’origine, 2000-2010
Source : Insee, panel DADS.
Les variations sont encore plus fortes lorsque l’on regarde à un niveau sectoriel plus fin (220 activités). Les cinq secteurs dont le taux de retour à l’emploi est le plus faible (sous la barre des 40 %) sont principalement manufacturiers, comme l’industrie laitière, mais on y trouve aussi le commerce de gros de produits agricoles bruts, qui appartient aux services exposés (voir Tableau 1). Les cinq activités offrant les perspectives de réemploi ou de reconversion les plus favorables, avec un taux de retour à l’emploi supérieur à 70 %, appartiennent tous au secteur abrité : les auxiliaires d’assurance, la location de machines…
TABLEAU 1. Activités présentant les taux de retour à l’emploi les plus importants et les plus faibles
Source : Insee, panel DADS.
Note : ce tableau analyse le réemploi à partir d’une division de l’économie en 220 activités, dont 101 appartenant au secteur manufacturier.
- 3 – Ce travail a bénéficié d’une aide de l’Etat gérée par l’Agence nationale de la Recherche au titre du programme Investissements d’Avenir portant la référence ANR-10-EQPX-17 (Centre d’accès sécurisé aux données – CASD). Il s’appuie sur un panel de travailleurs construit à partir des Déclarations annuelles des données sociales, rendu accessible par le CASD. 2010 est la dernière année disponible sur le panel.
Le poids déterminant des caractéristiques individuelles
Les statistiques sectorielles précédentes ne tiennent pas compte des effets de composition, autrement dit du fait que les caractéristiques socio-démographiques des travailleurs ne sont pas les mêmes d’un secteur à l’autre. Le fait que les hommes soient très majoritaires dans l’industrie par exemple (70 %), ou que les professions intellectuelles supérieures soient surreprésentées dans les services exposés, n’est absolument pas neutre sur les chances de réemploi moyennes relevées pour chaque secteur. À partir d’une analyse économétrique du retour à l’emploi, nous tâchons dès lors de distinguer ce qui relève de ces caractéristiques individuelles ou au contraire du secteur d’activité.
Le tableau 2 présente les principaux déterminants qui influent sur la probabilité de retrouver un emploi. Ce sont essentiellement des caractéristiques socio-démographiques : ainsi, quel que soit son secteur, on a plus de chances de retrouver un emploi si on est un homme, cadre, francilien, avec de l’ancienneté, que si on est une femme, jeune, artisan ou ouvrier agricole. La forte concentration de cadres et d’ingénieurs dans le secteur des services exposés, ainsi que la plus grande présence de ce secteur en Île-de-France en proportion de l’emploi total, constituent par exemple des explications essentielles du fort taux de retour à l’emploi observé dans ce secteur.
TABLEAU 2. Les principaux déterminants du retour à l’emploi
Source : Insee, panel DADS.
Un effet spécifique au secteur manufacturier : le rôle de la mobilité
Les différences sectorielles de taux de retour à l’emploi sont donc d’abord le reflet d’un effet de structure. Il reste néanmoins un effet spécifique au secteur manufacturier : même en tenant compte des caractéristiques des travailleurs, les chances de réemploi sont plus faibles pour les travailleurs licenciés du secteur manufacturier que pour les salariés du secteur abrité et des services exposés.
Les secteurs exposés à la concurrence internationale sont caractérisés par la concentration géographique des emplois4. En effet, les activités exposées produisent des biens et services qui voyagent facilement : les entreprises ont donc intérêt à se concentrer pour réduire leurs coûts de production, accéder plus facilement aux infrastructures de transport, aux ressources naturelles, à une main d’œuvre qualifiée ou bon marché, à un environnement réglementaire ou fiscal attractif… À l’inverse, puisque la production des entreprises abritées ne s’échange pas facilement, celles-ci préféreront se localiser à proximité des consommateurs pour limiter les coûts de déplacement et nouer des liens avec leurs clients. Les emplois abrités se répartissent donc au sein des territoires selon les variations de densité de la population. La Figure 2 illustre ces différences, en présentant la répartition spatiale dans une activité exposée (l’automobile) et une activité abritée (la coiffure) : leurs effectifs totaux sont comparables en France mais leur répartition est très différente.
Figure 2. Localisation de l’emploi dans l’automobile et la coiffure, 2007
Source : Insee, Clap. Réalisé avec Philcarto.
Cette concentration des activités manufacturières, qui devient parfois un isolement, explique en partie pourquoi les salariés licenciés de l’industrie ont en moyenne davantage de difficultés à retrouver un emploi que les autres. Lorsqu’un site industriel disparaît d’un bassin d’emploi donné, et qu’il n’y a plus la possibilité pour les travailleurs licenciés de retrouver un emploi dans la même activité au sein de ce même bassin d’emploi, un dilemme s’impose à eux. Ils peuvent migrer dans un autre bassin d’emploi pour trouver du travail dans la même activité, et ainsi valoriser leurs compétences. Mais certains ne peuvent ou ne souhaitent pas faire ce choix, par exemple parce que cela implique la vente de leur logement, un changement d’école pour les enfants et de travail pour le conjoint et que tout cela représente un coût, alors même que la pérennité du nouvel emploi reste souvent incertaine. Envisager un tel déplacement est d’autant plus difficile que, précisément, l’activité est concentrée sur un petit nombre de territoires et que le choix est donc restreint. Ces travailleurs restent donc dans le même bassin d’emploi et changent d’activité, au risque de ne pas pouvoir valoriser pleinement leurs compétences.
Il arrive qu’une industrie disparaisse totalement d’un pays. C’est ce qui s’est produit cette année avec la fermeture de la dernière usine de cigarettes de l’Hexagone, l’usine Seita de Riom dans le Puy-de-Dôme. Dans ce cas de figure, compte tenu de la faible mobilité internationale de la main-d’œuvre, même chez les plus qualifiés, presque tous les travailleurs changent d’activité et renoncent à valoriser leurs compétences.
FIGURE 3. Le dilemme des salariés licenciés des secteurs exposés face à une disparition de leur activité du bassin d’emploi
Ces contraintes spécifiques aux secteurs exposés peuvent-elles expliquer le handicap résiduel qui frappe les salariés du secteur manufacturier en matière de retour à l’emploi ? Il est frappant de constater que les travailleurs licenciés de l’industrie manufacturière sont très souvent amenés à changer d’activité pour retrouver un emploi (seuls 43 % d’entre eux restent dans la même activité, Figure 4), loin devant les travailleurs licenciés du secteur abrité (64 % restent dans la même activité). Cet écart dans les transitions entre activités entraîne un risque plus important de perte de compétences pour les salariés du secteur manufacturier. On arguera que ces derniers pourraient changer d’activité sans changer de métier (par exemple pour un salarié devenant ajusteur dans l’aéronautique après avoir été ajusteur dans l’automobile), et continuer à valoriser pleinement leurs compétences. On constate cependant une plus forte mobilité d’une catégorie socioprofessionnelle à une autre de la part des anciens salariés du secteur manufacturier (49 % d’entre eux changent de catégorie socioprofessionnelle lors du retour à l’emploi) par rapport aux deux autres secteurs (37 % en moyenne pour les deux autres secteurs). Cet écart peut également s’expliquer en partie par des différences de volume de création d’emplois entre activités (la croissance de l’emploi étant plus soutenue dans certaines activités du secteur abrité et des services exposés) ; mais cela ne réduit pas le risque de perte de compétences lié à cette transition pour les salariés du secteur manufacturier.
De plus, les travailleurs des secteurs exposés qui conservent la même activité (Figure 4) changent plus souvent de région que les travailleurs du secteur abrité, même si la mobilité inter-régionale est plutôt faible dans les trois secteurs : 14 % des travailleurs en moyenne changent de région pour retrouver un emploi (Figure 5). Il est important de souligner que notre étude ne permet pas de suivre les individus qui changent de région sans parvenir à retrouver un emploi : nous manquons donc d’éléments pour attester qu’une plus grande mobilité géographique entraînerait de meilleures perspectives de réemploi pour les salariés du secteur manufacturier.
Figure 4. Part des salariés licenciés retrouvant un emploi dans la même activité, accompagné ou non d’un changement de région, parmi ceux qui retrouvent un emploi et selon le secteur d’origine
Source : Insee, panel DADS.
Note : ce graphique analyse le réemploi à partir d’une division de l’économie en 220 activités, dont 101 appartenant au secteur manufacturier.
Il convient également de mentionner que le secteur des services exposés, pour sa part, allie une plus forte mobilité géographique à de meilleures perspectives d’emplois que le secteur manufacturier. Or, les services exposés sont, eux aussi, concentrés géographiquement et peuvent, à l’image des activités manufacturières, disparaître d’un territoire en raison de la concurrence internationale. Comment expliquer alors que ce secteur offre des perspectives plus favorables de retour à l’emploi que le secteur manufacturier ? Plusieurs raisons peuvent être avancées : le rôle prépondérant des variables individuelles dont nous avons parlé plus haut, le fait que les individus licenciés des services exposés sont un peu plus mobiles géographiquement que les autres (18 % contre une moyenne de 12 % dans les deux autres secteurs, Figure 5), ainsi que le dynamisme de ce secteur sur le plan de l’emploi (Frocrain et Giraud, 2016).
Figure 5. Part du réemploi entraînant un changement de région, selon le secteur d’origine
Source : Insee, panel DADS.
- 4 – Pour une discussion plus approfondie voir Frocrain et Giraud (2016).
Le réemploi dans les services de proximité plutôt au détriment des actifs concernés
À côté de la question du retour à l’emploi, une interrogation demeure sur la nature des emplois retrouvés par les salariés licenciés du secteur exposé, en particulier ceux de l’industrie, qui sont contraints plus souvent que les autres à changer d’activité.
Nos données révèlent que, parmi les travailleurs licenciés du secteur manufacturier qui retrouvent un emploi sur la période étudiée, 54 % sont réembauchés dans le secteur manufacturier lui-même (mais pas forcément dans la même activité, cf. Figure 4). Sur les 46 % restants, ceux qui trouvent un emploi dans les services exposés sont étonnamment peu nombreux : près de 40 % basculent en réalité dans le secteur abrité.
En examinant cette transition à un niveau plus fin (Figure 6), on constate que le deuxième poste d’accueil des salariés licenciés du secteur manufacturier, après l’industrie des biens intermédiaires, est celui des services aux entreprises. Ce dernier recrute donc davantage de salariés licenciés du secteur manufacturier que d’autres segments de l’industrie. Ces services aux entreprises peuvent être abrités ou exposés mais, en l’occurrence, plus de 63 % du réemploi de ces travailleurs se concentre dans des services opérationnels tels que la sécurité, le nettoyage, ou encore la gestion des déchets. Le commerce, les activités de la santé et du social recrutent également d’anciens salariés de l’industrie. On observe donc un déversement, certes partiel mais réel, dans l’économie dite « de proximité », vers des emplois souvent peu qualifiés.
Ce mouvement vers le secteur abrité ne se fait généralement pas au profit du travailleur concerné. D’une part, plus de 20 % des travailleurs qui occupaient un poste à temps complet dans l’industrie manufacturière occupent après, lors du réemploi dans le secteur abrité, un emploi à temps partiel. Cette part ne s’élève qu’à 6 % pour ceux qui retrouvent un emploi dans le secteur manufacturier et à 9 % en moyenne pour l’ensemble des individus licenciés d’un temps complet.
Figure 6. Décomposition en activités du retour à l’emploi des travailleurs licenciés du secteur manufacturier
Source : Insee, panel DADS.
Note : ce graphique analyse le réemploi à partir d’une division de l’économie en 16 activités.
En outre, le retour à l’emploi s’accompagne souvent d’une évolution des compétences ou d’un changement de métier. Là encore, les perspectives pour les travailleurs licenciés du secteur manufacturier qui conservent un emploi dans l’industrie sont plutôt favorables. En effet, plus de 25 % des ouvriers anciennement non qualifiés deviennent ouvriers qualifiés, tandis que 15 % des anciens ouvriers qualifiés retrouvent un emploi non qualifié. L’image courante d’un déclassement massif des travailleurs industriels licenciés est donc fausse.
En résumé, les opportunités d’emploi semblent meilleures pour les ouvriers de l’industrie parvenant à y rester, ce qui témoigne des enjeux liés à la création d’emplois dans ce secteur.
Les conséquences du licenciement peuvent également s’apprécier en matière de rémunération lors du retour à l’emploi. Nous développerons ces aspects dans une note, à paraître début 2018.
En savoir plus
- Autor, David H., David Dorn & Gordon H. Hanson (2013), The China syndrome: Local labor market effects of import competition in the United States, American Economic Review.
- Frocrain P., Giraud PN (2016), Les emplois exposés et abrités en France, La Fabrique de l’industrie.
- Gazaniol, A. (2013), Internationalisation, performances des entreprises et emploi, Presses des Mines.
- Helpman, E., Itskhoki, O., Muendler, M. A., & Redding, S. J. (2017), Trade and inequality: From theory to estimation, The Review of Economic Studies.
- Hoekman, B. & Winters A. (2005). Trade and employment: stylized facts and research findings (policy research working paper 3676), World Bank, Washington.
- Malgouyres, C. (2016), The impact of chinese import competition on the local structure of employment and wages: Evidence from France, Journal of Regional Science.
- Newfarmer, R., & Sztajerowska, M. (2012). Trade and employment in a fast-changing world.
- OECD (2013), OECD Employment Outlook 2013, OECD Publishing, Paris.
- Schwarzer, J. (2015) Trade and employment – an Overview, Council on Economic Policies.
Pour réagir à cette note, vous pouvez contacter Eugénie Tenezakis (eugenie.tenezakis@la-fabrique.fr).
Que deviennent les salariés qui perdent leur emploi? – Les Synthèses de La Fabrique – Numéro 16 – Décembre 2017