Les leçons de l’expérience suédoise pour le dialogue social français
L’étude de La Fabrique sur le modèle suédois a le mérite de relever les facteurs structurels de sa réussite. Une étude de 2008 de l’Institut syndical européen, La Suède à la recherche de son modèle social[1], concluait : « Les réformes successives entreprises depuis les années 1990 ont créé un cadre institutionnel favorable à l’émergence d’une flexibilité négociée et au retour à une croissance équilibrée de l’activité économique et de l’emploi. Ces développements renforcent la cohérence du modèle suédois. […] Toute la question est de savoir si cette refondation réussie pourra résister à l’épreuve du temps. ». En 2013, force est de constater que le temps a plutôt validé la pertinence du modèle.
L’étude de La Fabrique sur le modèle suédois a le mérite de relever les facteurs structurels de sa réussite. Une étude de 2008 de l’Institut syndical européen, La Suède à la recherche de son modèle social[1], concluait : « Les réformes successives entreprises depuis les années 1990 ont créé un cadre institutionnel favorable à l’émergence d’une flexibilité négociée et au retour à une croissance équilibrée de l’activité économique et de l’emploi. Ces développements renforcent la cohérence du modèle suédois. […] Toute la question est de savoir si cette refondation réussie pourra résister à l’épreuve du temps. ». En 2013, force est de constater que le temps a plutôt validé la pertinence du modèle.
L’expression d’un leader syndical de TCO (syndicat des « cols blancs ») est de ce point de vue symptomatique : « ce modèle a permis d’offrir à l’immense majorité de la population un niveau de vie élevé et de meilleures chances, tout en garantissant une plus grande efficacité et rentabilité des entreprises ». Ce n’est ni un politique ni un employeur qui parle, mais ceux-là auraient probablement tenu un discours similaire. Il y a un fort consensus sur plusieurs points d’ancrage en Suède, cette « persistance » nous autorisant à parler de modèle.
J’en relève ici sept, accompagnés des propositions qu’ils m’inspirent.
(1) La recherche permanente d’efficacité de la part des acteurs, c’est-à-dire d’un « plus » pour le bénéficiaire final, qu’il soit citoyen, salarié, travailleur, demandeur d’emploi… Ce pragmatisme prime sur la posture, sur le jeu de rôle parfois théâtral que l’on voit parfois en France, comme récemment au sujet de la qualité de vie au travail (QVT), des retraites complémentaires… Au cours de la négociation de l’ANI du 11 janvier 2013, pour la CFDT, le bénéfice pour le salarié a toujours été un critère déterminant. Il en découle une première proposition : toute négociation, quel qu’en soit son niveau, devrait d’abord identifier explicitement le ou les bénéficiaires finaux et le plus attendu pour ces derniers dans la négociation.
(2) La prise en compte du temps long et son corollaire, l’anticipation, comme le montre la négociation sur les retraites en Suède, qui aura mis 15 ans au total pour déboucher sur un accord. Intégrer le temps long à la réflexion politique et économique suppose une confiance réciproque et une capacité collective à s’adapter aux changements multiformes. D’où ma deuxième proposition : toute décision importante devrait intégrer le paramètre des externalités pour les générations futures, tout comme les évaluations devraient intégrer le coût de l’immobilisme pour responsabiliser négociateurs et décideurs.
(3) Une pensée partagée de la compétitivité hors coût misant sur le haut-de-gamme, l’innovation, la redistribution de la valeur ajoutée vers l’entreprise et la stabilité du capital, et se traduisant par un excellent maintien de la balance commerciale suédoise. Les modalités de ces innovations (formation continue, investissement en R&D avec soutien des politiques publiques…) portent la marque d’un dialogue social force de propositions et moteur de compétitivité, légitime pour intervenir également en matière de redistribution de la valeur ajoutée ou de stratégie d’entreprise. Ce qui m’amène à ma troisième proposition : les critères de redistribution de la valeur ajoutée devraient faire l’objet d’une négociation avec les représentants des salariés.
(4) L’ouverture au monde, matérialisée par une forte orientation à l’export, témoignant d’un haut niveau de confiance en l’avenir et dans la capacité à peser collectivement sur cet avenir. Comme le rappelle Sylvain Lamblot sur le site de La Fabrique, les Suédois détestent les conflits. Jean-Yves Larraufie ajoute qu’ils sont prêts à payer un impôt fort car ils ont confiance en l’Etat et dans la qualité de l’aide qu’il leur apporte. Cette confiance ne survient pas d’un claquement de doigt : c’est un apprentissage dans la durée, qui suppose des signes positifs, des jalons. De ce point de vue, l’ANI du 11 janvier, certes imparfait (défensif mais pas assez offensif, diront certains), est un jalon d’un long mouvement qui redonne du corps à la démocratie sociale, à la légitimité des partenaires sociaux, et au rôle du dialogue social en matière de performance et de compétitivité, notamment hors coût. Ma quatrième proposition est donc de cesser de raisonner en termes de monopoles et de sortir des postures qui l’emportent sur la qualité du résultat : les employeurs n’ont pas le monopole du « terrain » économique, pas plus que les organisations syndicales n’ont celui du social ni les écologistes celui de l’environnemental. Cela ne peut fonctionner ainsi.
(5) Une certaine éthique de la responsabilité, qui incite à l’exemplarité et à la coopération. Elle explique également le souci permanent d’équité, les faibles écarts dans la hiérarchie des salaires, la flat hierarchy, la tempérance des managers pour qui la responsabilité exercée est plus importante que le rang occupé dans la hiérarchie. Ni lutte des classes, ni lutte des places : le contraire des modèles de management très répandus, en France en particulier. Ma cinquième proposition est donc de faire entrer dans le jeu du dialogue social les conditions d’exercice de la responsabilité des managers.
(6) Le rôle des organisations syndicales, combinant revendications, négociations collectives (nationales et décentralisées), services professionnels et appui aux salariés, y compris en direction des managers. Les organisations syndicales sont moins nombreuses qu’en France et leur structuration par catégorie limite la concurrence, sans pour autant conduire à un cloisonnement entre les organisations. Je l’ai constaté récemment, sur un site industriel suédois en forte restructuration, avec TCO et LO. En France, la loi de 2008 sur la représentativité avait bien vocation à responsabiliser les acteurs. L’appui à la personne et l’offre de services individualisés sont des postures de plus en plus importantes. Ma sixième proposition est de poursuivre cette dynamique, de renforcer le syndicalisme de services professionnels, l’appui professionnel aux salariés, y compris aux managers.
(7) La forte prégnance du syndicalisme parmi les managers, les cadres, les personnels qualifiés. Cela représente une forte différence entre nos deux pays : le syndicalisme ne reflète pas encore totalement en France, comme en Suède, la diversité du salariat. La rencontre avec les managers reste encore largement à organiser. Ma septième proposition est donc de mieux articuler dialogue professionnel et dialogue social, en s’appuyant sur les managers de proximités, ce qui suppose de leur apporter un appui professionnel.
Ces 7 points d’ancrage contribuent à la pertinence et à la persistance du modèle, ils sont autant de facteurs de compétitivité. L’issue de la négociation en cours sur la qualité de vie au travail en France sera déterminante de cette capacité à sortir des monopoles et chasses gardées. Dans le cadre d’un dialogue social renouvelé, les débats sur le travail et son organisation favorisent une confiance réciproque et la construction de leviers de compétitivité hors coûts. Si au contraire, les partenaires sociaux manquent ce rendez-vous avec les managers de proximité, il s’agira d’un mauvais signal qui nous éloignera un peu plus encore du modèle suédois.
La version intégrale du point de vue de Jean-Paul Bouchet est disponible en téléchargement.
[1]Iain BEGG, 2008, « Les modèles sociaux européens face au défi de l’emploi : Allemagne, France, Royaume-Uni, Suède », Revue de l’IRES n°58 – 2008/3.